Des manifestants ont dit leur colère, vendredi à Hongkong, après les révélations de Lam Wing-ke, l’un des «cinq libraires» de l’ex-colonie britannique à avoir mystérieusement disparu à l’automne. Libéré sous caution pour quarante-huit heures, Lam a tenu une conférence de presse explosive jeudi, expliquant comment les autorités chinoises l’avaient enlevé, emprisonné, interrogé durant huit mois, obligé à une fausse confession télévisée, et assurant que son collègue Lee Bo avait bien été enlevé sur le territoire hongkongais, ce que Pékin a toujours nié. Lam, Lee et trois autres travaillaient pour la librairie Causeway Bay Books, spécialisée dans les livres censurés en Chine continentale mais autorisés à Hongkong, où la liberté d’expression est garantie théoriquement jusqu’à 2047.
A quelques rues de Causeway Bay Books, en plein centre, une autre librairie, People Book Café, est connue pour ses livres interdits. Une volée de marches mène au premier étage. Affiches, vieux téléphone et pendule kitsch, le style mao vintage domine. La spécialité du lieu, ce sont les livres sur la politique intérieure chinoise. Pok, 35 ans, travaille ici depuis 2002. «On peut diviser nos clients en deux sortes. D'abord, ceux qui ont une connexion étroite avec le gouvernement central de Pékin. Ils travaillent souvent pour des membres élevés du Parti, qui ont besoin de connaître les dessous du pouvoir. Ils ne peuvent trouver ce genre d'informations qu'à Hongkong.» Comme à Causeway Bay Books, des habitués font des allers-retours de part et d'autre de la frontière. Il y a aussi de simples touristes, «en général très nerveux à l'idée de rapporter un livre interdit». People Book Café n'a pas d'activité d'éditeur, contrairement à Lam Wing-kee et ses collègues, qui dirigeaient aussi la maison d'édition Mighty Current Media. «On n'a aucun rapport avec les auteurs, seulement avec les distributeurs, dit Pok. Les maisons d'édition n'arrêtent pas de changer de nom pour préserver leur anonymat, tout comme les distributeurs et les auteurs. Tout est assez mystérieux. Causeway Bay Books publiaient eux-mêmes des livres, donc ils étaient en contact avec les auteurs. On dit que ce sont leurs informateurs dans le gouvernement chinois qui étaient dans le collimateur, pas eux.»
De fait, pour Lam Wing-kee, les autorités «semblaient plus intéressées par savoir qui avait écrit les livres que par ceux qui les vendent». Tout en précisant que la condition de sa libération sous caution était de livrer le nom de 600 clients qui leur commandent des livres par la poste. L'affaire a des répercussions : «Il y a de moins en moins d'éditeurs prêts à publier ce genre d'ouvrages», note Pok. Lam, qui devait rentrer en Chine jeudi, a dit avoir passé deux nuits blanches avant de se décider à ne pas rentrer et à tout déballer aux journalistes : «Si je ne parle pas, Hongkong ne pourra plus rien faire. Ce n'est pas qu'une histoire personnelle.»