Aux lendemains de la tuerie homophobe d'Orlando, des gays français ont cherché de l'aide. Et particulièrement les homoparents. Ils ont appelé l'APGL (Association des parents et futurs parents gays et lesbiens) ou l'Association des familles homoparentales. «Une quinzaine d'adhérents se sont ainsi manifestés pour demander s'il fallait ou non aller comme d'habitude à la marche des fiertés qui se tient le 2 juillet ou non. Et puis nous avons eu quelques témoignages. Comme ce père qui nous a confié que son fils de 12 ans avait pleuré en apprenant que des gays avaient été tués parce qu'ils étaient gays. Il a deux papas. Il s'inquiète pour eux», témoigne l'ADFH.
Le téléphone de l'APGL aussi a sonné. Au bout du fil, les mêmes appréhensions, et les mêmes questions : amener fièrement les mômes défiler le 2 juillet ou pas ; parler d'Orlando ou pas aux enfants ; et si oui, comment ? «Dès le CP, ils entendent parler de tout. Ils sont dans la même cour que les CM2», confie un père gay, pas mécontent que son fils soit trop petit (3 ans) pour être mis au courant de la tuerie d'Orlando. «Oui mais là, je ne pense pas que ça va arriver dans la cour d'école, tranche Nicolas, qui a choisi de taire le drame à sa fille de 6 ans. Ça s'est passé hyper loin. Je lui avais parlé de Charlie, du Bataclan. C'était près et il y avait une minute de silence prévue en classe. Mais là ! Elle ne sait pas encore ce que ça veut vraiment dire être homo ou pas. Elle sait qu'elle a deux mamans. Elle sait que si je me remets en couple ce sera avec un garçon, mais ça s'arrête là. Ce qui s'est passé à Orlando n'a pas de résonance avec sa vie de petite fille. Et elle ne peut pas encore comprendre que c'est la communauté LGBT qui était visée».
Delphine, elle, a tenu à parler à sa fille, Zoé, 5 ans. «Je lui ai parlé de Charlie, du Bataclan… Comment ne pas le faire ? Nous habitons près de la place de la République à Paris et elle a bien remarqué la surprésence policière. Je lui ai aussi parlé de ce qui s'est passé à Orlando. Nous avons entendu parler de ce massacre alors que nous fêtions les 30 ans de l'APGL, le dimanche midi autour d'un brunch. Avec ma femme, on a accusé le coup. On savait que tôt ou tard notre communauté serait visée. Le soir, j'ai juste dit à Zoé : il y a des méchants qui ont tué des gens parce qu'ils ne supportaient pas la façon dont ils vivaient. Des garçons qui aimaient des garçons… J'ai simplifié. J'ai été binaire. On ne sait pas encore si elle a vraiment ou comment elle a mentalisé la nature de sa famille. Et je n'ai pas dit que ça s'est passé à Orlando. Elle ne sait pas où c'est !» Pas simple cette question du ce qu'on dit ou pas. Alors, une semaine après le drame, la psychanalyste Claude Halmos (Photo Serge Picard) donne quelques pistes (1). Entretien.
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Avez-vous constaté une anxiété particulière chez les parents homosexuels après les événements d’Orlando ?
En ce moment, tous les parents sont inquiets, gays comme hétéros. Le climat est anxiogène. La même problématique se pose qu’au moment des attentats en France : comment parler de la violence ? Aujourd’hui, l’information circule très facilement avec les tablettes ou les smartphones et les enfants peuvent entendre parler de ces événements dans les cours d’école, les transports, etc. Si on ne les informe pas, il y a toutes les chances qu’ils l’apprennent n’importe comment, sans précaution, ou pire, par des plus grands qui pourraient avoir envie de les terroriser.
Faut-il attendre que les enfants posent des questions ? A partir de quel âge peut-on leur parler d’homophobie ?
Il faut que les parents abordent le sujet dès lors que les enfants sont en contact avec d’autres. C’est la meilleure façon de leur fournir une sorte de structure pour filtrer les conversations qu’ils peuvent surprendre. Un enfant à qui ses parents n’en auraient pas parlé pourrait avoir le sentiment que c’est un sujet pas bien, qui dérange les adultes, ou qu’il ne faut pas aborder. C’est donc la condition essentielle pour libérer la parole. Pour ce qui est des parents homosexuels, il faut faire passer le message que l’homophobie existe, pour que les enfants soient armés.
Comment s’y prendre ?
Cela implique d'abord d'expliquer la sexualité, ce qui est essentiel pour tous les enfants. Sinon, comment apprendre si on ne sait pas qui on est et d'où on vient ? Cela implique aussi d'aborder les différences entre les sexes, de dire qu'il peut y avoir de l'amour entre deux hommes ou entre deux femmes, d'aborder la conception et les interdits : celui de l'inceste et celui de la sexualité entre l'adulte et l'enfant. Je pense qu'il est important d'employer les vrais mots : «homosexualité», «homophobie», avec des périphrases et des explications pour que ce soit clair. On peut aussi s'appuyer sur des livres pour enfants, voire faire appel à un psy, si vraiment on n'y parvient pas. Il faut ensuite expliquer qu'il y a encore des gens qui pensent qu'il y a des façons normales de s'aimer, et d'autres qui ne le sont pas. On peut aussi faire un parallèle avec le racisme, qui est du même ordre, et dire que lorsque cela se manifeste, c'est difficile à supporter, que cela fait souvent très mal, et qu'il ne faut pas hésiter à en parler.
Est-ce que cela ne risque pas de susciter une certaine angoisse chez les enfants de couples LGBT ?
De la même manière que pour les attentats, il faut trouver un équilibre : informer, sans susciter la panique. Dans une société où on peut entendre des mots comme «PD» dans la cour d’école, les enfants de parents homosexuels craindront forcément pour leurs parents à un moment donné et ce ne serait pas les protéger que d’occulter l’homophobie. Je pense au contraire qu’il faut faire en sorte qu’ils soient à même de l’affronter, sans qu’ils s’imaginent qu’il y a un danger derrière chaque buisson. On peut leur dire que la majorité des gens ne sont pas comme cela, que la société avance. Que ce qui s’est passé à Orlando vient d’une stupidité, qui consiste à croire qu’il y a des sexualités qui sont normales et d’autres non. Dans tous les cas, la vérité est beaucoup moins dangereuse que les fantasmes.
(1) Auteure notamment de Savoir être, une psychanalyste à l'écoute des êtres et de la société (Fayard, avril 2016, 416 pp., 22 euros)