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Orlando bouscule la campagne, Trump fait des caprices... une semaine d’élection américaine

Pour ne rien rater avant le rendez-vous du 8 novembre, «Libération» fait chaque semaine le point sur la campagne.

Le discours de Donald Trump après l'attaque dans le club gay d'Orlando a été assez peu chaleureusement accueilli par les partisans du contrôle des armes... (Photo Jonathan Drake. Reuters)
ParBaptiste Bouthier
Kim Hullot-Guiot
Frédéric Autran
Correspondant à New York
Publié le 18/06/2016 à 14h45

Les primaires sont (presque) terminées : on connaît désormais les candidats, Hillary Clinton côté démocrate, Donald Trump chez les républicains, pour l'élection présidentielle américaine. Pour ne rien rater avant le rendez-vous du 8 novembre, Libération fait chaque semaine le point sur la campagne.

Le billet d’Amérique

Etats-(dés)Unis

Un récent chef de la diplomatie française, manifestement ravi de son trait d'esprit, répétait à chacune de ses visites au siège de l'ONU que l'organisation était par essence dysfonctionnelle car composée de «nations désunies». Le même constat s'applique aujourd'hui à l'Amérique d'Obama, Clinton, Trump et les autres. Les Etats-«Unis» ne le sont pas. Et le drame d'Orlando l'a prouvé.

On est dimanche. Les cadavres des victimes gisent encore sur le sol ensanglanté du Pulse. Dans leurs poches, les téléphones sonnent désespérément dans le vide, rendant fous légistes, enquêteurs et les personnes à l’autre bout du fil. A l’hôpital voisin, on s’efforce de sauver les blessés, de localiser leurs familles. Le choc est planétaire. Mais le pays, lui, se déchire déjà autour du pourquoi, du comment et du «à qui la faute ?».

Le bilan tombe. Cinquante morts, dont le tireur. Fusillade la plus meurtrière de l'histoire moderne des Etats-Unis. Les démocrates, Barack Obama en tête, parlent de contrôle des armes. Trop, c'est trop. Le président disait la même chose en décembre après San Bernardino, il y a quatre ans après Sandy Hook. Bill, la cinquantaine, a perdu deux amis au Pulse : «Si la mort de 20 écoliers n'a pas provoqué de prise de conscience, celle de 50 gays n'aura aucun impact.»

Dans un club de vétérans, Jim montre un montage photo qui circule sur Facebook : «La France a été attaquée, elle s'en est prise aux terroristes. Les Etats-Unis sont attaqués, ils s'en prennent à nos droits.» Sous-entendu : le droit suprême, garanti par l'article 2 de la Constitution, de porter une arme. Jim, encore : «Clinton veut confisquer nos armes.» Faux. Mais c'est ce que le gourou Trump martèle. Et ses adeptes répètent. Leur ignorance interpelle souvent. Jim, toujours : «Il y a sept milliards de musulmans dans le monde [soit la totalité de la population mondiale, ndlr]. Et 12% sont des radicaux.» Rick, un garagiste : «Tous les pays visés par l'Etat islamique sont des pays chrétiens. Et bizarrement, aucun média n'en parle.» Non, Rick, parce que l'immense majorité des victimes de l'Etat islamique sont des musulmans tués dans des pays musulmans. Soupirs. Lassitude. Inquiétude, aussi, face à une parole raciste et islamophobe qui se libère. Elle semble parfois tout droit sortie de la bouche de Donald Trump. Cindy : «Je n'aime pas cibler une communauté entière, mais il faut empêcher les musulmans de rentrer. On ne sait plus qui entre dans notre pays.» En fait, si : 1 682 réfugiés syriens en 2015, par exemple. Jeudi, cela faisait un an jour pour jour que Donald Trump était candidat à la Maison Blanche. Il s'est félicité de mener une campagne «d'honnêteté et de substance». Cet homme n'a aucune décence.

En quelques heures à peine, le Pulse, où battait le cœur de la communauté LGBT d'Orlando, est donc devenu un champ de bataille politique. Et la communauté n'apprécie pas. Elle voudrait certes qu'on parle des armes. Mercredi soir, dans un café du nord de la ville, Elexsa a lu un texte d'une voix à la fois puissante et émue : «J'ai grandi à Orlando, où 49 âmes ont été perdues. 49 voisins. Mais les armes ne tuent pas les gens, n'est-ce pas ? Les gens tuent les gens. Faux ! Les gens avec des armes tuent les gens. Et des gens remplis de haine ont accès à ces armes tous les jours.» La communauté veut qu'on parle des armes, donc, mais surtout d'elle. Des menaces, des brimades, des lois restrictives à son encontre. Après la tragédie, imams, pasteurs et révérends ont tous apporté un soutien appuyé à la communauté LGBT.

Un homme porte une pancarte avec un slogan antiarmes à feu, le 16 juin à Orlando. (Photo Saul Loeb. AFP)

Ces mêmes lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres dont ces mêmes religieux dénoncent «les pratiques», quand ils ne cherchent pas à les «guérir». Cette hypocrisie concerne aussi l'immense majorité des élus républicains. Prompts à défendre la communauté LGBT américaine contre la barbarie de Daech, ils sont pourtant les premiers à chercher à en limiter les droits. Selon le New York Times, plus de 150 textes de loi qui restreindraient les droits ou protections légales des minorités sexuelles sont actuellement en discussion au niveau des Congrès locaux. Fin mai, un élu républicain de Géorgie avait cité en séance un verset de la Bible appelant à l'exécution des homosexuels.

Le drame du Pulse peut-il contribuer à combler le fossé entre les républicains, les différents groupes religieux et la communauté gay ? Kira l'espère : «Tout le monde devrait réagir à cette haine et cette douleur avec amour. Il faut rendre ce monde plus sûr, plus aimant pour la communauté LGBT, mais aussi pour tous les groupes marginalisés dans ce pays». On a envie d'y croire. De se convaincre que cette jeune fille de 21 ans incarne autant, si ce n'est plus, les Etats-Unis que Rick le garagiste, Jim le vétéran ou Donald le milliardaire. Reste l'implacable réalité : un pays polarisé, emporté par une campagne présidentielle anxiogène. Un pays où tout le monde peut certes dire «Je suis Orlando» ou «Je suis l'Amérique». Oui, mais laquelle ?

Par Frédéric Autran, correspondant aux Etats-Unis

La rencontre de la semaine

Clinton et Sanders cherchent un terrain d’entente

Cette fois c'est bien fini : en votant mardi assez largement pour Hillary Clinton, Washington D.C. a mis fin au long enchaînement des primaires, entamé le 1er février en Iowa. L'ex-secrétaire d'Etat sort de ces 57 scrutins en tête et assurée d'être la candidate démocrate à la présidentielle de novembre. Mais Bernie Sanders, son seul challenger, n'a pas jeté l'éponge et continue de vouloir peser sur la ligne politique du parti, même si l'objectif principal reste, comme il l'a rappelé ces dernières semaines, de «barrer la route de la Maison blanche à Donald Trump». C'est dans cette optique que Clinton et Sanders, malgré leur inimitié exacerbée par de longs mois de campagne âpre, se sont entretenus mardi soir dans un hôtel de Washington, pendant deux heures.

A la sortie, aucun des deux ne s'est risqué à un commentaire devant la presse. Les deux équipes de campagne se sont contentées de communiqués de presse similaires, vantant la concorde et la qualité des échanges, autant dire le strict minimum. Pour Sanders, l'objectif est d'obtenir des concessions sur quelques points qu'il a fait pivots dans sa campagne : salaire minimum, réforme du système de financement des campagnes électorales, coûts de l'éducation et de la protection santé. Pour Clinton, l'idée est de lâcher juste ce qu'il faut de lest pour obtenir le ralliement formel de Sanders à la convention démocrate (25-28 juillet). Autrement dit, aboutir à la mise en scène quasi parfaite d'une unité pourtant peu manifeste ces derniers mois…

Le soutien de la semaine

Hillary Clinton obtient le soutien du plus important syndicat 

Il avait décidé de rester neutre le temps que les démocrates se choisissent un candidat. Après le vote de Washington D.C. mardi, la course était pliée et le principal syndicat des Etats-Unis, le AFL-CIO, qui compte 12,5 millions de membres, a finalement apporté officiellement son soutien à Hillary Clinton. Laquelle avait déjà obtenu le soutien, au cours de sa campagne, d'autres plus petits syndicats de travailleurs. Cette décision de l'AFL-CIO de sortir de sa réserve s'explique par la volonté «d'aider à l'union des courants du parti [démocrate] et d'essayer de regagner les cols bleus mécontents qui pourraient être attirés par le message protectionniste de Donald Trump», explique le site Mother Jones.

La candidate démocrate à la présidentielle américaine, Hillary Clinton, lundi 6 juin 2016. La candidate démocrate à la présidentielle américaine, Hillary Clinton, le 6 juin. (Photo Jonathan Alcorn. AFP)

Le coup bas de la semaine

Trump retire au Washington Post son accréditation

Le milliardaire n'apprécie pas la couverture que fait le Washington Post, journal pourtant sérieux, de sa campagne. Il a donc purement et simplement décidé de retirer à ses journalistes leur accréditation. Selon l'Express, la brouille vient d'un article, publié le 13 juin, dans lequel le quotidien commente la réaction du candidat républicain à la tuerie d'Orlando, et l'accuse d'associer Barack Obama et terrorisme. En retour, l'homme d'affaires dégaine l'accusation de «malhonnêteté»… et empêche les journalistes du quotidien d'accéder à sa campagne. Ce qui ne signifie pas qu'ils arrêteront de la couvrir, répond le journal dans un éditorial titré «L'attaque de Donald Trump sur nos valeurs».

Et, histoire de compléter son pied de nez au milliardaire, le journal a publié un article humoristique, «How to Cover Donald Trump Fairly : a style book» («Comment couvrir Donald Trump équitablement : un guide»), qui commence ainsi : «Ce guide pour couvrir Donald Trump honnêtement et équitablement arrive trop tard pour moi, puisque je travaille au Post, dont les accréditations ont été révoquées par l'équipe de campagne de Trump. Mais ça pourrait ne pas être trop tard pour vous, autres membres des médias ! S'il-vous-plaît, lisez et exécutez !» Premier principe, donc : «Donald Trump a toujours raison». «Donald Trump est infaillible – comme le pape, mais avec plus de charisme sexuel brut. Si Donald Trump a l'air de se tromper à propos de quelque chose, qu'il s'agisse d'une déclaration ou d'un acte, ou d'une combinaison des deux, cela devrait être réécrit afin qu'il n'ait pas tort», s'amuse la journaliste Alexandra Petri. Suivent d'autres principes : «Les faits sont souvent biaisés contre Donald Trump et devraient n'être rapportés qu'avec parcimonie, voire pas du tout», ou encore «les déclarations de Donald Trump sont suffisantes. La vérification des faits est au mieux maladroite, au pire de la traîtrise».

Des journalistes attendent Donald Trump à Washington, le 12 mai 2016Des journalistes attendent Donald Trump à Washington, le 12 mai. Ceux du Washington Post ont vu leurs accréditations révoquées. (Photo Brendan Smialowski. AFP)

Terminons en précisant que l'homme est coutumier du fait, comme le rappelle l'Express, puisqu'il avait déjà empêché, fin 2015, une journaliste de NBC d'accéder à sa campagne. Puis, entre janvier et mars, ce sont deux reporters du New York Times et de Politico qui s'étaient vu retirer leurs accréditations.

Pour aller plus loin…

Nous vous proposons une sélection hebdomadaire d’articles en VO, pour se plonger encore plus dans la campagne. Au menu cette semaine :

• Après la tuerie d'Orlando, Donald Trump a donné un discours, notamment sur le terrorisme. Mais quelle part exacte de ce qu'il a dit des événements est vraie ? Politico s'est collé à la vérification, phrase par phrase, des affirmations du candidat. C'est à lire ici.

• Sur le même sujet, Foreign Policy expliquait cette semaine que les discours ultra-radicaux de Trump étaient en fait des menaces pour la sécurité des Etats-Unis, puisqu'ils véhiculaient des messages de peur, de haine, et même des idées «antiaméricaines». C'est passionnant, et c'est à lire en cliquant là.

• Le Boston Globe, lui, s'est penché sur l'évolution démographique de la Caroline du Nord, en se demandant si elle pourrait devenir «la nouvelle Floride», Etat sur lequel se penchent tous les commentateurs et journalistes à chaque élection, tant son choix peut être décisif pour l'issue de l'élection. A lire ici.

(To be continued…)