L'écrivain britannique Robert Harris est l'auteur à succès de romans historiques, dont plusieurs ont été adaptés au cinéma ( Enigma, The Ghost Writer, césar 2011 du meilleur scénario, coécrit avec Roman Polanski). Il est également l'auteur de D (Plon, 2014), sur l'affaire Dreyfus. Son prochain ouvrage, Conclave, situé au Vatican, sera publié à l'automne.
En parlant du référendum de ce jeudi, vous évoquez «l’événement politique le plus déprimant, clivant et fourbe» de votre vie. Pourquoi ?
Nous ne connaissons pas ce genre de politique au Royaume-Uni, nous avons eu l'extrémisme et le terrorisme de l'IRA, mais c'était différent. Jamais rien de comparable à cet extrémisme politique. Les deux camps ont attisé les peurs. Du côté du remain, la peur d'un écroulement économique, voire d'une troisième guerre mondiale ; du côté du leave, la peur de l'immigration, de millions d'immigrés débarquant sur nos plages. Il n'y a eu aucun vrai débat sur la place du Royaume-Uni dans le monde. La notion même de référendum est étrangère au système politique britannique. Nous pourrions nous retrouver dans la situation d'un pays qui choisit le Brexit mais d'un Parlement qui aura voté en majorité pour le remain [on estime qu'environ 140 des 650 députés sont en faveur du Brexit, ndlr]. Ce référendum n'est en fait qu'un sondage géant. Ce qui suivra un Brexit ne sera pas seulement une crise économique mais aussi une crise constitutionnelle majeure. Notre système politique n'est pas conçu pour répondre à une seule question. La vie est bien trop compliquée pour la réduire à une simple réponse, oui ou non.
Comment expliquez-vous ce rejet de l’Union européenne ?
Le rejet systématique, par le camp du leave, de la parole des experts, des élites, c'est une version britannique du «trumpisme». L'attaque populiste classique que l'on retrouve un peu partout. Ce référendum est en fait un exercice d'anti-intellectualisme. Il répond à une désaffection générale pour la politique. Et puis, il existe dans ce pays une forte nostalgie du passé. Le Royaume-Uni a eu la chance inouïe de sortir victorieuse de ses guerres. J'ai 59 ans et j'ai passé les premières années de ma vie à voir les gouvernements britanniques successifs - Harold Macmillan, Harold Wilson, puis Edward Heath, de 1957 à 1976 - essayer de rejoindre l'Union européenne. Et maintenant, on voudrait que j'en sorte ? Et pourquoi ? Pour retrouver l'atmosphère des années 50, 60 et 70, économiquement difficiles ? Sûrement pas. Celle des années de guerre, les années 40 ? Je ne pense pas. Celles du début du XXe siècle, avec la Première Guerre mondiale ? Pas vraiment. Alors quoi, un retour vers les années 1880 ou 1890, lorsque le Royaume-Uni était un empire prospère ? C'est irréaliste. Il y avait une raison très précise pour laquelle nous avons voulu entrer dans le bloc européen : seul, le Royaume-Uni ne faisait pas le poids face aux Etats-Unis et aux autres pays. Et ça reste vrai aujourd'hui.
Que pensez-vous du rôle de David Cameron dans ce référendum ?
Cameron est un joueur. Il a parié une première fois sur l'Ecosse en 2014, il a parié aux dernières élections en 2015 et, là, il s'offre le plus grand pari de tous, sur l'Europe. Si le leave l'emporte, il sera fini, parti avant la fin de l'été. Et il restera dans l'histoire comme le pire des Premiers ministres du Royaume-Uni. J'ai vu comment, pendant vingt ans, le poison antieuropéen s'est répandu dans le Parti conservateur, et là, il se sera déversé dans tout le pays. Nous sommes face à la tempête parfaite : la crise financière de 2008, la crise des réfugiés, l'effondrement du Labour et la faiblesse de Cameron. Tout cela réuni a produit cette situation. Dans le passé, le Labour aurait été très fortement en faveur de l'Europe. Mais, là, nous avons Corbyn, un trotskiste faible. Il y a désormais une forme de rejet de la direction du Labour. C'est encore une fois cette forme de trumpisme, dans tous les partis.
Pensez-vous que le pays pourra se rassembler après le résultat, quel qu’il soit ?
Ce référendum aura été notre affaire Dreyfus à nous. Si nous quittons l'UE, ce sera le début d'un très long et difficile processus. Et le Parti conservateur pourrait bien imploser. Avec en toile de fond la chute de la livre sterling, la hausse des taux d'intérêts, la panique des marchés… Nous ferons face à un profond chaos politique. Si le remain l'emporte, je suspecte que pas mal de partisans du leave qui n'ont jamais espéré gagner seront secrètement soulagés. Parce qu'ils sont un peu dépassés, un peu alarmés par la perspective de devoir gérer ce qu'ils auront généré. Si le remain l'emporte, le soupir de soulagement sera collectif et les vacances d'été pourront démarrer.