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Remain

David Cameron sur le fil du rasoir

Le Premier ministre n’en est pas à un pari fou près, mais un Brexit l’éjecterait des affaires.
Le Premier ministre britannique David Cameron, en poste depuis 2010.  (Photo Susannah Ireland. Eyevine. Bureau 233)
publié le 22 juin 2016 à 20h46

Il l'a dit, promis. David Cameron n'est «pas un lâcheur», il ne démissionnera pas de son poste de Premier ministre et ce, même si le Brexit l'emporte. Il «acceptera la décision du peuple britannique» et s'engagera à la mettre en œuvre. Sauf que personne, et sans doute pas même lui, n'imagine un instant qu'il puisse se maintenir à son poste jusqu'à la fin de l'été si les Britanniques choisissent de prendre le large.

Si le Brexit l'emporte, David Cameron restera dans l'histoire comme le Premier ministre qui aura sorti son pays de l'Union européenne et, peut-être, provoqué l'effondrement du projet européen. Voire du Royaume-Uni, si l'Ecosse se sentait de nouvelles velléités d'indépendance. Mais si le remain l'emporte, David Cameron aura, une fois de plus, remporté contre toute raison un dangereux pari.

Pur produit de l’establishment britannique, passé par Eton et Oxford, David Cameron, 49 ans, est un joueur. Depuis son arrivée à la tête du Parti conservateur, il accumule des gestes - des volte-face - qui semblent impulsifs et qu’on lui prédit de payer cher. Et pourtant, à chaque fois, il survit.

Tory tradi

Il est avant tout l’homme de son parti, essentiellement préoccupé par ses troupes et ses électeurs. Pendant longtemps, il ne s’est intéressé à la politique internationale seulement lorsque l’actualité l’y a contraint. Dans cette même logique, depuis son arrivée à la tête du parti tory en septembre 2005, il cherche à apaiser les eurosceptiques de son parti. Parce qu’il a vu comment cette aile droite du parti a empoisonné la fin du mandat de John Major.

Alors qu’il promettait d’une main l’émergence d’un conservatisme plus moderne, plus vert, plus modéré, il sortait de l’autre son parti du principal groupe des droites au Parlement européen, le Parti populaire européen (PPE) pour intégrer les Conservateurs et réformistes européens (CRE) aux côtés des indépendantistes flamands de N-VA.

Lors des élections générales de 2010, son échec à remporter une majorité absolue et la coalition qui a suivi avec les libéraux démocrates, a coupé son envol : il est revenu à des politiques tories plus traditionnelles et a engagé un profond et lourd programme d'austérité. La crise financière de 2008 était passée par là. Et les antieuropéens ont continué à râler, alimentés par un virulent Nigel Farage, dirigeant du parti europhobe Ukip. Un succès de l'Ukip aux élections européennes, quelques défections de tories ont suffi pour qu'il s'engage encore plus loin, en promettant en janvier 2013, ce référendum in ou out. Un geste qualifié par beaucoup de suicide politique.

Mais avant ce vote pour l’Europe, il aura fait un autre pari, en autorisant la tenue d’un référendum sur l’indépendance de l’Ecosse. Là encore, face à l’extraordinaire campagne du oui, en faveur d’une sécession, il avait été donné fini, terminé, renvoyé aux oubliettes de l’histoire. Et puis, il avait sorti une promesse ici, un grand discours là et arraché une confortable victoire rejetant l’indépendance.

Sous-estimé

David Cameron a souvent été sous-estimé. Homme de communication avant d'intégrer le cabinet du chancelier de l'Echiquier (ministère des Finances) Norman Lamont, il a parfois été accusé d'être un peu dilettante, de manquer de convictions, voire de force de travail. Pourtant, à chaque fois qu'il a semblé au bord de l'abîme, il s'en est sorti, souvent contre toute attente, parfois contre toute logique. Aux élections générales de 2015, il était donné perdant. Après ces années d'austérité, on lui prédisait au mieux une nouvelle coalition, et encore, uniquement parce qu'en face, le Labour ne tenait pas la route. Une fois de plus, il a surpris en remportant une majorité absolue. Il pourrait encore surprendre ce jeudi. Dans le meilleur des cas, si le camp du remain l'emporte confortablement, il pourra même jouer au grand conciliateur, rassembler ses troupes, distribuer des postes de ministres à ses opposants et rivaux d'hier, comme Boris Johnson. Mais de tous les paris de sa carrière, il sait que celui d'aujourd'hui est de loin le plus dangereux.