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Libération

Le choix du monde

par Par The Sunday Times
publié le 22 juin 2016 à 21h11

J’étais un peu trop jeune pour voter lors du référendum de 1975. Mais j’aurais voté oui au maintien dans la Communauté européenne. Celle-ci avait contribué à la paix européenne en estompant la souveraineté économique française et allemande. C’était une zone de libre-échange dans un monde de barrières douanières élevées, bien que pourvue d’un mur protectionniste qui excluait les autres pays et continents. Vingt ans plus tard, le projet européen cessa de concerner la croissance économique et prit le chemin de l’Union monétaire et politique, incarnée par les traités de Maastricht, Amsterdam et Lisbonne. Le résultat a été atroce. Contrairement à tous les autres continents, l’Europe a stagné pendant la plus grande partie de la décennie suivant le krach de 2008. L’Union monétaire dans une zone euro sans union fiscale a donné à l’Allemagne un taux de change sous-estimé et aux pays d’Europe du Sud un taux surévalué, et ainsi fait monter en flèche les taux de chômage. Loin de promouvoir la paix, l’UE excite de plus en plus la colère chez les peuples de ses membres. La guerre à l’intérieur de ses frontières, si elle reste peu probable, n’est plus aussi inconcevable que nous l’avions espéré. Son ambition visant à transformer un continent en pays sans égalité économique, culturelle, ni linguistique préalable, sans même la capacité de partager les richesses des régions les plus riches avec les plus pauvres, s’avèrera douloureuse. Dans un monde où les échanges commerciaux sont de plus en plus libres, ce projet d’unification régionale est au mieux une fausse piste, au pire une initiative perdue d’avance. L’Amérique a transformé un continent en pays en commençant par l’unité linguistique et culturelle et en construisant une structure hyperdémocratique dans laquelle les branches exécutives et législatives sont toutes deux soumises à de fréquentes élections. Le gouvernement fédéral a endossé les dettes des Etats, assurant ainsi un transfert fiscal automatique entre les parties du pays les plus riches et les plus pauvres. Il a aussi construit un barrage crucial contre la sur-centralisation, afin de permettre la diversité et les expérimentations locales, en accordant des pouvoirs immenses à un Sénat élu représentant les Etats. Même ainsi, il a fallu une guerre civile pour forger une nation unie. Ne doutez pas un instant que si nous votons pour le maintien dans l’UE, nous nous engagerons sur le chemin de la transformation du continent en un pays. Pour obtenir que la France accède à certaines de ses demandes, Cameron a fait une concession cruciale lors de la renégociation des termes de l’adhésion de la Grande-Bretagne : qu’à l’avenir, les institutions de l’UE soient à la botte de la zone euro dans sa quête pour toujours plus d’unification. Or, si l’on ne veut pas que le continent soit crucifié sur l’autel d’une monnaie, alors il doit devenir un pays. Il doit se doter d’un gouvernement unique qui transfère automatiquement les revenus fiscaux des parties productives du pays aux parties qui le sont moins. L’UE a créé un ancien régime dirigé par des commissaires non élus dotés du pouvoir exclusif d’introduire de nouvelles lois, avec une cour capable d’annuler les décisions des Parlements élus des Etats membres. Un régime dont les couloirs du pouvoir bourdonnent de lobbyistes de grandes entreprises, de banques et de groupes de pression, tous résolus à obtenir des bureaucrates qu’ils étouffent l’innovation pour protéger leurs monopoles et pour harmoniser la diversité régionale à n’importe quel prix. Cela va à l’encontre de tout ce pour quoi nous nous sommes battus, et de tout ce pour quoi nous avons versé le sang pendant des siècles, surtout en Grande-Bretagne : pour que des lois ne puissent être votées et que des impôts ne puissent être levés sans le consentement du peuple par le biais de ses représentants élus. Cela en vaut-il la peine ? A présent que l’Organisation mondiale du commerce a abaissé les droits de douane comme jamais, que le déclin de la violence a fait diminuer le nombre de morts lors des guerres et qu’Internet, les compagnies aériennes low-cost et les porte-conteneurs font que la proximité géographique n’a jamais été de si peu d’importance, nous pouvons tous nous sentir des citoyens du monde. Le meilleur moyen d’unifier le pays consiste, pour nous tous, à adhérer à cette décision. J’espère que nous choisirons le monde, pas seulement un continent.

Ecrit par Matt Wridley pour le «Sunday Times», journal britannique conservateur. Traduit par Bérengère Viennot.