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Libération
EDITORIAL

Projet idéaliste

par Par The Observer
publié le 22 juin 2016 à 21h11

Nous, les Britanniques, devons prendre la plus grande décision démocratique de notre existence. L’issue du référendum va façonner notre politique, notre économie, notre société et notre rôle dans le monde pour les décennies à venir. La plupart des arguments en faveur du maintien dans l’Union européenne ont été formulés en termes de risque économique d’un éventuel Brexit. Mais l’UE a toujours été bien davantage qu’un projet économique. C’était un projet idéaliste, né du désir de ne plus jamais voir le continent dévasté par la guerre. Voilà qui est facile à oublier à une époque où l’idée de nations européennes en guerre les unes contre les autres semble inconcevable. Mais notre continent est confronté à des défis nouveaux et mondiaux : le réchauffement climatique, les déplacements de masse de gens qui fuient conflits et pauvreté, les entreprises géantes qui commercent à travers les frontières.

La nécessité qu'un collectif de pays trouve des moyens de fonctionner ensemble n'a jamais été aussi impérieuse. The Observer a toujours été fier de sa vision internationaliste et progressiste, ouverte sur le monde et ses influences culturelles, sociales et politiques. Une des principales lignes de démarcation dans ce référendum consiste à savoir si nous voulons rester ouverts ou opter pour l'insularité étriquée et l'idée d'un monde où la souveraineté et le contrôle peuvent être gentiment contenus à l'intérieur des frontières de l'Etat-nation.

Malgré ses nombreuses imperfections, ce journal pense que l’UE a été une force positive. Elle a atteint son objectif qui était d’éviter un nouveau conflit européen. Elle a mis en place le plus grand marché unique du monde tout en évitant un nivellement par le bas des droits du travail. Elle a ramené d’anciens Etats satellites de l’URSS dans le giron européen, et nourri des économies de marché et des démocraties naissantes. De Thatcher à Blair, les Premiers ministres ont joué un rôle de premier plan dans la création du marché unique et l’expansion vers l’Est. La Grande-Bretagne a façonné l’Europe pour le mieux, autant que l’Europe a façonné la Grande-Bretagne. Hors de l’UE, notre rôle dans le monde serait diminué. En tant que puissance économique conséquente et force démocratique et progressiste, la Grande-Bretagne a des responsabilités à l’échelle mondiale.

L’internationalisme, la coopération et le compromis sont les principes de la démocratie moderne. Notre choix ou notre refus d’y souscrire affectera la stabilité du monde. Les arguments prônant le maintien dans l’UE ne doivent donc pas être formulés en termes uniquement économiques mais dans le plus vaste vocabulaire du monde dans lequel nous aspirons à vivre.L’Europe est fragile, et une sortie de la Grande-Bretagne pourrait accélérer sa dislocation. Quitter l’Europe alors que certaines questions sur sa future orientation restent en suspens marquerait un tournant fondamental pour le pire dans la politique étrangère britannique.

Notre avenir est profondément affecté par le parcours du continent auquel nous appartenons. Il serait déloyal de dire que le choix auquel la Grande-Bretagne est confrontée jeudi est entre une union internationale et sans défaut et l’isolement ; entre le nirvana économique et la ruine ; entre la sécurité à perpétuité et la décomposition de l’ordre. Un tel choix n’existe pas.

En réalité, il s’agit d’un choix entre faire cavalier seul ou faire partie d’un collectif désordonné et imparfait, qui nécessite coopération et compromis. Entre affronter les défis économiques auxquels tous les pays riches et développés vont devoir faire face dans le cadre du plus grand marché économique unique du monde, ou en dehors d’un regroupement commercial. Entre se colleter à l’insécurité mondiale en tant qu’élément d’un bloc qui partage nos valeurs démocratiques progressistes, ou tout seuls. Rester dans l’UE ne va pas gommer les difficultés auxquelles la Grande-Bretagne devra faire face dans les années à venir. Mais si nous faisons ce choix, cela permettra de maintenir le pays au cœur de la réforme du projet européen afin que les nations d’Europe soient, ensemble, mieux équipées pour y faire face. L’Union européenne reste une expression concrète de la conviction que les démocraties libérales peuvent en faire davantage en agissant ensemble qu’en restant isolées. Ne tournons pas le dos à cette idée.

Editorial paru dans «The Observer», journal de centre gauche, traduit par Bérengère Viennot.