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Libération
Noces

Les Corées (ré)unies par les liens du mariage

Se disant effrayés ou rejetés par des Sud-Coréennes de plus en plus émancipées, nombre de Sud-Coréens se tournent vers des réfugiées nord-coréennes.
Mariage de Kim (un Sud-Coréen) et Lee (une Nord-Coréenne), en septembre 2015. Ils se sont rencontrés par l'intermédiaire d'une agence matrimoniale intercoréenne. (Photo Eva John)
publié le 23 juin 2016 à 18h19

«Les hommes les plus beaux viennent du Sud, les femmes les plus belles du Nord.» Ce proverbe coréen date de bien avant la division de la péninsule après la Seconde Guerre mondiale. Mais alors que Nord et Sud sont ennemis, il a pris une tout autre signification et renvoie à des agences matrimoniales qui présentent des réfugiées du Nord à des célibataires sud-coréens. Celle de Hong Seung-woo, l'une des plus anciennes, fête cette année ses dix ans d'existence et se targue d'avoir organisé près de 560 mariages.

Visage rond et cheveux gominés, Hong gère ce business avec sa troisième épouse, une Nord-Coréenne. En 2006, quand il a créé l'agence, il était marié à une autre réfugiée nord-coréenne, qu'il avait rencontrée par l'intermédiaire d'un ami. «Quand il m'a proposé de me la présenter, j'ai d'abord eu peur. Je n'avais encore jamais rencontré de Nord-Coréen et je les associais au diable, comme on me l'avait appris depuis l'enfance. Je les suspectais d'être des espions et je craignais qu'on m'accuse d'être pro-Pyongyang.» Rapidement, Hong oublie ses préjugés et entre, via son épouse, dans la communauté des réfugiés. Après avoir plusieurs fois joué l'intermédiaire pour des amis, il entrevoit une opportunité d'affaires.

Transfuges

Pour un peu moins de 2 300 euros, les clients se voient présenter jusqu'à cinq femmes. Les deux parties sont ensuite libres de donner suite ou non au premier rendez-vous. «Généralement, les refus viennent des femmes», précise Hong. Kim Ji-hae, 35 ans, fluette et timide infirmière en formation, épousera bientôt un professeur d'anglais originaire de Busan, ville portuaire du Sud. Elle l'a rencontré en mars 2015 grâce à l'agence. «Mon fiancé a une situation stable. Il m'aide et essaye de me comprendre. Les hommes nord-coréens sont plus macho.» Son seul regret : qu'aucun membre de sa famille, restée au nord du 38e parallèle, ne pourra assister à la cérémonie.

Les femmes constituent la majeure partie des 29 000 transfuges installés au Sud et 80% de ceux qui sont arrivés l'an dernier. Elles peuvent fuir le régime des Kim plus facilement que les hommes, qui pointent à l'usine, et peuvent survivre en Chine en épousant des paysans qui les rachètent. Pour celles qui s'installent au Sud, le mariage constitue une promesse d'intégration au sein d'une société ultramoderne, aux antipodes de ce qu'elles ont connu auparavant, et encore peu ouverte aux réfugiés. «C'est leur extrême solitude qui les pousse à s'inscrire dans ces agences», estime Kim Seok-hyang, du département d'études nord-coréennes de l'université pour femmes Ewha de Séoul.

«Croqueuses de diamants»

Quant aux hommes, ils ont des profils très variés, si l'on en croit Hong. Certains viennent des campagnes désertées par les jeunes filles, d'autres sont des citadins et des divorcés «déçus par les Sud-Coréennes», assure-t-il. Ce dernier est étonnamment remonté contre les femmes de son pays, qui ont, selon lui, «pris le pouvoir». «Les Sud-Coréennes sont si exigeantes et vénales. De vraies croqueuses de diamants», poursuit-il. Son agence, comme une poignée d'autres qui officient, vante à l'inverse les «mérites» des Nord-Coréennes, qui seraient des épouses plus traditionnelles, entendez douces et dociles. Il y a deux ans, l'une de ces agences avait suscité la polémique en les décrivant dans une publicité comme «belles, sincères et gentilles, au contraire des Sud-Coréennes aux visages refaits, calculatrices et rusées».

Pour des raisons similaires, les mariages «mixtes» avec des étrangères venues principalement d’Asie du Sud-Est sont devenus courants. Le phénomène est tel qu’il est encadré et même encouragé par le gouvernement sud-coréen. Moins nombreuses et plus confidentielles (aucune donnée officielle et peu de littérature sur le sujet), les unions «intercoréennes» ont l’avantage de ne se heurter à aucune barrière de langue.

Mais tout n'est pas rose pour autant. «Nous sommes très différents. Les Sud-Coréens ne peuvent pas nous comprendre complètement. Au début de notre mariage, ça n'a pas toujours été facile», confie Lee Hana (pseudonyme, ndlr), l'actuelle épouse de M. Hong. Arrivée au Sud en 2011 après avoir vécu pendant six ans en Chine, elle a décidé de rejoindre Séoul, laissant derrière elle son enfant pour qu'il travaille à la ferme. A l'agence, c'est elle qui se charge d'assortir les couples. «Beaucoup de Sud-Coréens dénigrent les Nord-Coréennes. Ils pensent que tant qu'elles ont à manger, elles seront contentes. Or, elles ont bien sûr d'autres désirs. C'est justement parce qu'elles ont connu des situations difficiles qu'elles ont envie de vivre mieux», regrette-t-elle. Une dizaine d'unions nées à cette agence se seraient soldées par un divorce.