Il avait donné son opinion sans détour. En visite, début mai à Londres, le Premier ministre japonais Shinzo Abe avait voté remain, à l'image d'une classe politique et des milieux économiques nippons soucieux de stabilité et de continuité pour la bonne santé des affaires notamment. En cas de sortie de l'Union européenne, la Grande-Bretagne deviendrait une «destination moins attractive pour les investissements japonais», avait déclaré Abe, lors d'une conférence de presse le 5 mai aux côtés de son homologue britannique David Cameron.
«Le Japon préférerait clairement que le Royaume-Uni reste dans l'Union européenne. C'est mieux pour le monde qu'il reste dans une Europe forte», ajoutait le Premier ministre nippon en précisant que «l'adhésion britannique (à l'UE) est également préférable pour les investisseurs japonais au Royaume-Uni. De nombreuses entreprises japonaises ont installé leurs activités au Royaume-Uni précisément parce que le pays est une passerelle vers l'UE.» Environ mille sociétés nippones se sont installées en Angleterre et nombreuses sont celles qui y ont établi leur siège social européen. Toyota et Nissan disposent d'usines qui écoulent entre 75 et 80% de leur production dans toute l'Europe.
Abe et également son ministre des Finances Taro Aso, s’inquiètent des conséquences d’un départ du Royaume-Uni de l'UE qui nuirait selon eux à l’économie japonaise, toujours dans un état stationnaire malgré les Abenomics, les massifs programmes de relance. Si Londres quitte l’UE, les investisseurs seront probablement tentés d’acheter du yen comme un actif sûr, la monnaie s’apprécierait. Et un yen fort fragiliserait les exportations, handicaperait les activités des entreprises, notamment à cause de nouveaux tarifs.
Si l'opinion publique japonaise ne se passionne guère pour le Brexit, les médias n'ont pas manqué d'abonder dans le sens des dirigeants du pays qui ont en sainte horreur l'aventurisme politique. A la mi-juin, le quotidien conservateur Yomiuri Shimbun espérait que les «Britanniques voteront pour que le pays reste dans l'UE. Si la Grande-Bretagne devait partir, cela engendrerait une crise économique comme des secousses sur les marchés financiers de la planète. […] Si la Grande-Bretagne devait partir, l'UE subirait des dommages incalculables.»
L'éditorial de l'Asahi Shimbun, le 15 juin, était également sans ambiguïté. «Nous espérons vivement que la Grande-Bretagne va choisir de rester dans l'UE», écrivait le journal de centre gauche, proche des milieux intellectuels. «La Grande-Bretagne est une puissance majeure qui doit agir comme un leader fort pour encourager la coopération internationale, et non pas comme une nation qui tourne le dos à l'unité européenne pour essayer de faire cavalier seul.» Tentant de comprendre les raisons derrière le Brexit, l'Asahi évoque le «phénomène de Trump aux Etats-Unis et la montée des forces d'extrême droite dans certaines parties de l'Europe. Une mentalité isolationniste se répand partout dans le monde. L'opinion publique britannique semble avoir été influencée par cela».
Puis, regrettant que le débat du Brexit se soit focalisé seulement sur les dossiers économiques et migratoires, le quotidien élargit le débat qui ne manquera de resurgir quel que soit le résultat du vote. «Quel genre de relation Grande-Bretagne devrait entretenir avec l'Europe continentale ? Voilà le type de question qui doit être débattu longuement et en profondeur […], jusqu'à ce que le public soit vraiment prêt à parvenir à un consensus. Nous espérons que les citoyens britanniques prendront une décision qui est objective et mûrement réfléchie.»