On ne peut pas dire que l’issue du référendum de ce jeudi enflamme l’opinion. Les Russes, dans leur ensemble, s’intéressent peu à ce qui se passe au-delà de leurs frontières quand il n’y a pas d’enjeux, réels ou fantasmés, pour leur pays.
S'il en est, l'effet d'un Brexit sera surtout économique. Selon German Gref, le patron de la géante banque publique Sberbank, le PIB de la Russie pourrait chuter de 1%, tandis que les actions russes risquent de perdre 5 à 10% de leur valeur. «Il y aura un mouvement de panique, avec un effet négatif sur notre économie, le cours du rouble et les investissements dans les titres russes. Mais je ne suis pas sûr que ça durera longtemps», a-t-il commenté lors du Forum économique de Saint-Pétersbourg, la semaine dernière. Un affaiblissement de l'euro et un renforcement du dollar seraient «peut-être bénéfiques pour le budget de la Russie, mais mauvais pour le consommateur», a estimé quant à lui Alexandre Chokhine, le président de la chambre de commerce et d'industrie. Même si les investissements russes en Grande-Bretagne (y compris dans l'offshore des îles Vierges britanniques) ne sont pas négligeables, dans l'ensemble, s'accordent les experts, les économies russes et britanniques ne sont pas suffisamment imbriquées pour que l'onde de choc que provoquerait une sortie de l'UE en Grande-Bretagne ait des répercussions importantes en Russie.
Un «mur polono-baltique»
Au contraire, une Grande-Bretagne émancipée deviendrait même un partenaire plus commode pour Moscou, qui préfère les relations bilatérales avec les États aux interminables tractations avec une union hétéroclite. Sauf si Londres choisit de renforcer les liens avec Washington pour reprendre du poil de la bête sur le continent européen, prévient Andreï Souchentsov, professeur de sciences politiques au MGIMO – l'Institut d'Etat des relations internationales de Moscou – dans une tribune (RIA) : «Si, en plus, d'autres régimes pro-américains d'Europe de l'Est rejoignent ce bloc, une nouvelle alliance anglo-saxonne peut surgir en Europe, pour édifier un "mur polono-baltique" à la frontière avec la Russie.»
Pour les habituels critiques du Kremlin, Moscou ne peut voir que d'un très bon œil une déstabilisation de l'UE, et sur le fond de son affaiblissement, un renforcement de la Russie. L'une des priorités étant de battre en brèche la cohésion de l'UE au sujet des sanctions européennes contre la Russie. Mais Vladimir Poutine a refusé jusqu'à présent de commenter l'issue du référendum. «J'ai un avis personnel, mais je vais m'abstenir», a-t-il déclaré au Forum de Saint-Pétersbourg, en fustigeant au passage ceux qui cherchent à «rattacher la Russie à des problèmes qui ne la concernent en rien, en la faisant passer pour un épouvantail».