Les Britanniques ont acté à une courte majorité (51,9% contre 48,1%) pour une sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne. Valérie André, maître de conférences en civilisation britannique à l'université d'Aix-Marseille, analyse cette victoire du camp du leave, qui acte, pour elle, l'échec de la politique du Premier ministre, David Cameron.
La victoire d’un Brexit est-elle une surprise ?
C'en est une. Les médias britanniques parlent déjà de «séisme». On s'attendait à des résultats serrés mais pas à un Brexit. Le pays est divisé, à la fois en termes générationnels, en termes communautaires et enfin au niveau territorial puisqu'en Irlande du Nord et en Ecosse, les résultats sont contraires à la tendance majoritaire en Angleterre. En ce qui concerne l'Ecosse, on s'attendait quand même à un vote plus massif des Ecossais pour rester dans l'Union. Même si les écarts sont grands (62% pour le remain, contre 38% pour le leave), ce n'est pas suffisant pour compenser les bons scores du leave dans les Midlands et le nord-est de l'Angleterre. Les premiers surpris de ces chiffres, à mon avis, sont les partisans du Brexit. Pour preuve, lorsque les premiers résultats ont commencé à tomber hier soir, Nigel Farage [leader du parti indépendantiste Ukip, ndlr], commençait à prendre ses dispositions pour annoncer une courte victoire du remain…
Est-ce la fin du Royaume-Uni ?
Parler de fin de l'union est une exagération. En termes géopolitiques, l'union était déjà compliquée avec l'apparition d'un Parlement en Ecosse et d'assemblées au Pays de Galles et en Irlande du Nord. Mais le résultat du Brexit va probablement aggraver ces lignes de rupture, ces failles, qui existent entre ces différentes nations du Royaume-Uni. En Ecosse, le vote n'est pas suffisamment clair, on s'attendait plus à un rapport 80% pour le remain contre 20% pour le leave. De ce fait, la première ministre d'Ecosse, Nicola Sturgeon, est restée assez réservée pour sa toute première déclaration ce matin. Il n'y a pas encore d'engagement pris pour un référendum pour l'indépendance. Elle a une attitude attentiste, prudente. En Irlande du Nord, le Sinn Fein [l'ex-branche politique de l'Armée républicaine irlandaise, ndlr] a demandé la mise en place d'un référendum pour une réunification de l'Irlande. Cela va aussi compliquer la donne.
Pourquoi le Premier ministre, David Cameron, partisan du remain, a-t-il échoué ?
D'un point de vue personnel, David Cameron a fait le choix de mener sa propre campagne. Lors du précédent référendum en 1975 sur le maintien du Royaume-Uni dans la Communauté économique européenne (CEE) dont l'impulsion avait été donnée par le Parti travailliste, le Premier ministre, Harold Wilson, n'avait pas participé aux débats. David Cameron a fait le choix inverse. Il s'est impliqué. Il s'agissait aussi finalement d'un référendum sur son mandat de Premier ministre. Sa décision de démissionner paraît logique. Il a sous-estimé la vigueur du sentiment eurosceptique. Il a sous-estimé son discrédit. La négociation du 19 février avec l'Union européenne pour obtenir un statut spécial de son pays a été très contestée. Il y avait aussi un décalage entre les promesses d'une immigration limitée à 100 000 personnes par an en 2015 contre 330 000 personnes en réalité. Cela a beaucoup été utilisé contre lui. Il faut ajouter à cela la politique d'austérité budgétaire menée par son gouvernement. En fait, en faisant campagne, il n'a sûrement pas rendu service au camp du remain. Plus largement, on voit bien aussi avec ce référendum l'échec du «cameronisme». Leader du parti conservateur en 2005, Premier ministre depuis 2010, il avait l'objectif de créer un nouveau conservatisme de la même façon que Tony Blair avait créé un New Labour. Il avait une volonté de recentrage, de se rapprocher des libéraux-démocrates et de créer les conditions d'une conversation dans le pays. A la place d'une conversation, il a eu un référendum qui l'a éjecté.
Après l’annonce de la démission de David Cameron, effective au mois d’octobre, il n’y aura pas de nouvelles élections pour élire un Premier ministre…
C'est l'illustration de la crise démocratique parlementaire du Royaume-Uni. Ce vote, par le biais d'un référendum, invalide le résultat des législatives de 2015 [où les conservateurs étaient sortis largement en tête, ndlr]. Avec ce référendum, qui présente un taux de participation record de 72%, il y a une prise de pouvoir par le peuple. Or, c'est une consultation de 150 000 personnes du Parti conservateur qui va désigner ce nouveau Premier ministre. Un petit groupe va décider pour le peuple. C'est là un paradoxe.
Le cinéaste Ken Loach disait, il y a peu, craindre qu’en cas de Brexit, l’extrême droite arrive au pouvoir. Cela peut-il arriver ?
Je ne pense pas. C'est paradoxal mais ce n'est pas sûr que le résultat du référendum lui soit aussi favorable qu'on aurait pu le penser. Les partisans du Brexit qui sont en position de force au sein du Parti conservateur vont désamorcer cette droite extrême. Nigel Farage, leader du parti Ukip, n'a plus le monopole de ces discours eurosceptiques. Il a incarné pendant la campagne la droite dure et anti-européenne des années 60. Cela me rappelle le discours «des rivières de sang», prononcé en 1968 par Enoch Powell, un parlementaire conservateur. Il utilisait la métaphore d'une nation qui était en train de commettre un suicide en laissant les immigrés rentrer. Nigel Farage a fait la même chose avec son affiche antimigrants. Il a été critiqué au sein de son propre camp. Douglas Carswell, le seul parlementaire Ukip, s'est notamment désolidarisé de lui.
Le député Geert Wilders, leader du Parti pour la liberté, formation néerlandaise de droite radicale, demande à son tour un référendum aux Pays-Bas sur un maintien ou non dans l’UE. Est-ce qu’on peut s’attendre à d’autres Brexit ou le Royaume-Uni était-il un cas à part ?
L'exemple britannique va être utilisé en Europe continentale par les eurosceptiques. C'est inédit, c'est la première fois qu'un grand pays quitte l'UE. Pour autant, il ne faudrait pas en déduire que l'euroscepticisme britannique et l'euroscepticisme continental sont identiques. L'euroscepticisme britannique est souverainiste. Il s'agit de rapatrier un certain nombre de pouvoirs, qui ont été transférés à Bruxelles, au Parlement. Il y a aussi une dimension d'anti-immigration depuis les élargissements de 2004 auquel il faut ajouter la question de l'adhésion de la Turquie, qui mobilise beaucoup au Royaume-Uni. C'est donc très différent de l'euroscepticisme français, néerlandais ou encore grec. Sans faire de généralités, en Europe continentale, la dimension dominante de cet euroscepticisme est peut-être la politique d'austérité de Bruxelles, largement rejetée. Il peut y avoir un effet domino, ce qui ne sous-entend pas que l'euroscepticisme britannique puisse s'exporter tel quel.