Menu
Libération
Interview

Jo Hunt : «Il ne suffit pas d’appuyer sur un interrupteur pour sortir de l’UE»

Jo Hunt, spécialiste en droit européen, explique pourquoi, sur le plan légal, les effets du Brexit ne se verront pas tout de suite.
publié le 24 juin 2016 à 19h41

Maître de conférence en droit de l’Union européenne à l’université de Cardiff, au pays de Galles, membre du groupe de recherche «UK in a changing Europe initiative», Jo Hunt analyse les conséquences du référendum de jeudi.

Quels sont les premiers effets concrets de ce Brexit ?

Du point de vue économique, la livre a plongé, dans des marchés très volatils. Du point de vue politique, c'est la tourmente dans presque tous les partis britanniques. Mais du point de vue légal, on ne va pas voir les changements tout de suite. Le Royaume-Uni va conserver ses droits et obligations en tant que membre de l'UE - mêmes règles de citoyenneté, liberté de circulation, contribution au budget européen, etc. - jusqu'à ce que le processus de sortie de l'article 50 [la «clause de retrait» introduite par le traité de Lisbonne, ndlr] soit mené à terme, ce qui prendra au moins deux ans. Encore faut-il que le gouvernement britannique déclenche ce fameux article, et personne, pas même Boris Johnson, n'a l'air pressé de le faire. David Cameron a dit qu'il aura démissionné d'ici là, ce sera donc son successeur au 10, Downing Street qui devra s'en charger à partir de l'automne, et ce ne sera pas forcément sa première décision. Il ne suffit pas d'appuyer sur un interrupteur pour sortir de l'UE.

Les quatre nations constitutives du Royaume-Uni ne se sont pas du tout comportées de la même manière. Ecosse et Irlande du Nord ont voté in. Pays de Galles et Angleterre ont choisi la sortie.

Les sondages montraient déjà que le vote gallois allait beaucoup ressembler à celui de l'Angleterre - hors Londres, bien sûr -, assez clair sur son intention d'en finir avec l'UE. Ce n'était pas un vote qui allait de soi pour le pays de Galles, qui a une tradition de gauche, de justice sociale, plus europhile que le reste du Royaume-Uni. Les élections de mai dernier pour le Parlement gallois ont donné le ton : le parti europhobe Ukip y a remporté 7 sièges sur 60. Une première. En votant jeudi pour la sortie (à 52,5% des voix), le pays de Galles a rompu le rang des autres «nations dévolues», Ecosse et Irlande du Nord, qui elles ont massivement voté pour le remain. Ces deux pays parlent déjà d'un référendum d'indépendance, pour rester au sein de l'UE (lire ci-contre).

Est-ce la fin du Royaume-Uni?

Difficile à dire, parce que le Brexit change toutes les règles. La question de l’indépendance écossaise est encore plus compliquée aujourd’hui qu’il y a deux ans. Que vaut l’adhésion à l’UE par rapport à l’appartenance au Royaume-Uni ? La plupart des échanges commerciaux de l’Ecosse se font avec le reste du Royaume-Uni. Avec le Brexit, les choses sont plus complexes économiquement, légalement et politiquement. Avant, l’Ecosse, même indépendante, pouvait continuer de partager un seul et même marché, le marché européen, avec le Royaume-Uni.

La réunification des deux Irlandes est-elle envisageable ?

L’appartenance de l’Irlande du Nord à l’UE a facilité beaucoup de choses. Ça a rendu caduque la frontière avec la République d’Irlande. Ça a permis la paix, la coopération et l’intégration de l’Irlande du Nord, côte à côte avec l’Angleterre au sein d’une même structure et avec les mêmes lois. Mais une réunification des deux Irlandes demanderait d’énormes changements constitutionnels. On n’en est pas là.

Y a-t-il des corrélations entre situation socio-économique et vote pour le Brexit ?

Nous n'avons pas encore le détail du vote par âge, catégorie sociale, genre, etc., mais dans de nombreux cas, la carte du vote out semble se superposer avec celle des zones post-industrielles, qui souffrent le plus de la dégradation des conditions économiques. C'est clairement vrai au pays de Galles. Cela peut sembler contre-intuitif, parce que c'est dans ces zones que les financements européens structurels sont les plus significatifs. Mais le camp du leavea énormément insisté sur les sommes que le Royaume-Uni envoie à Bruxelles. Il donne plus qu'il ne reçoit, mais c'est justement le fondement même du projet européen : faire de l'Europe tout entière un territoire plus fort économiquement. Si le Royaume-Uni, ou la France, sont des contributeurs nets, le pays de Galles, lui, est bénéficiaire net. Le Premier ministre du pays de Galles, le travailliste Carwyn Jones, et les leaders du parti nationaliste Plaid Cymru, ont répété qu'un Brexit serait une catastrophe.

Et selon vous, est-ce «une catastrophe» ?

Nous ne savons pas encore quels arrangements vont être trouvés pour la renégociation des traités. Notamment sur l'accès au marché unique : personne ne semble vouloir la même chose au sein du camp du leave. Donc, en termes économiques, wait and see. Mais en termes de société, le Royaume-Uni est plus que jamais une nation désunie. Ce référendum a révélé des divisions très profondes au sein de la société. Entre les nations constitutives. Entre les générations, avec des jeunes a priori en faveur du remain et les plus âgés pour le leave… Entre les origines aussi, puisque la question de l'immigration a été extrêmement présente dans la campagne. J'ai l'impression que dans la tête des pro-Brexit, il y a eu une confusion entre l'immigration intra-européenne et extra-européenne. Entre ce sur quoi être un Etat membre de l'UE peut avoir de l'effet, ou pas. Il faut dire que nos médias grand public tapent sur l'Union Européenne depuis des décennies…

Personne n’a l’air de vraiment savoir ce qu’il va se passer désormais…

Le camp du leave n'a jamais présenté de plan cohérent de sortie de l'UE. Au sein même de ce camp, les motivations sont d'ailleurs très différentes. La campagne n'a jamais donné une vue d'ensemble. Et des chiffres, faux, ont été utilisés à longueur de meetings ou d'interviews. Par exemple, les fameux 350 millions de livres que le Royaume-Uni verserait chaque semaine à l'UE, et que l'Ukip promet de redistribuer au NHS [le système de santé britannique, ndlr], sont totalement surestimés. Même Nigel Farage (Ukip) l'a admis vendredi matin sur un plateau télé !