Le 23 janvier 2013, David Cameron, en quête d'un second mandat et sentant le souffle chaud de la frange eurosceptique de son propre parti et des populistes de l'Ukip (UK Independence Party) sur sa nuque, se résout à jouer son va-tout. Il promet un référendum sur l'appartenance du Royaume-Uni à l'Union européenne, si les conservateurs l'emportent en 2015. Le même jour, Tony Blair, Premier ministre entre 1997 et 2007, réagit en citant la comédie de Mel Brooks, le Shérif est en prison : «Ça me rappelle le moment où le shérif se met un flingue sur la tempe et dit "Si vous ne faites pas ce que je veux, je vais me faire sauter la cervelle !"» Et c'est exactement ce qui s'est passé. En perdant ce référendum qu'il n'a, au fond, jamais vraiment voulu, le Premier ministre s'est mis la corde au cou. Plus qu'une impulsive balle dans la tête, la chute de Cameron rappelle le seppuku japonais : un suicide lent et chorégraphié, en public et sous la pression de son clan. Conformément à la tradition électorale britannique, David Cameron, qui faisait campagne pour le remain, a annoncé, vendredi matin, sa démission en octobre, à l'occasion du prochain congrès du Parti conservateur.
Tactique
De l'avis de ses biographes, le conseiller de Thatcher puis plume de John Major (pour qui les tories anti-UE étaient des «connards») a toujours été un «eurosceptique soft». Plus qu'une haine farouche, Cameron a cultivé une sorte de défiance polie et hautaine pour la machinerie européenne. Mais jamais au point de rêver la nuit d'une sortie de l'UE, à l'inverse de l'aile dure de son parti. En 2006, lors de son premier discours en tant que chef des tories, il impute à l'euroscepticisme débridé d'une partie de ses troupes leur troisième défaite successive face aux travaillistes. «Alors que les parents se souciaient de l'accès aux soins pour leurs enfants, de leur trouver une bonne école et de trouver un équilibre entre travail et famille, nous, on blablatait sur l'Europe.» Pour Cameron, la question européenne n'est pas idéologique : elle est tactique. Dès l'année suivante, en 2007, il jure que s'il arrive au pouvoir, il organisera un référendum sur le traité de Lisbonne. Deux ans plus tard, à l'approche des élections générales, il explique que sa promesse est désormais caduque.
Elu en 2010 en s'alliant aux libéraux-démocrates pro-européens de Nick Clegg, Cameron fait face à sa première fronde interne en octobre 2011. L'aile minoritaire du parti vote une motion en faveur d'un référendum sur l'UE, en opposition frontale avec les consignes de leur leader. La motion échoue grâce aux voix du Labour et des LibDems. Premier coup de semonce. En 2012, Cameron ouvre la boîte de pandore : en réponse à une lettre de cent députés conservateurs pro-Brexit, il écrit, dans le Sunday Telegraph : «Pour moi, les deux mots "Europe" et "référendum" peuvent aller ensemble.» Et fustige la bureaucratie européenne et «l'ingérence» de l'UE dans les questions sociétales. Mais il juge que le référendumest le recours ultime, à n'utiliser que dans le cas où l'UE réclamerait toujours plus d'intégration.
Dans le même temps, un nouvel euroscepticisme virulent, teinté d'une rhétorique anti-migrants qui vise principalement les travailleurs venus des pays de l'Est, a plus que jamais le vent en poupe, y compris au Parti conservateur. L'Ukip apparaît plus fort à chaque sondage et son chef, Nigel Farage (lire ci-dessous), est omniprésent dans les médias. En 2013, espérant couper l'herbe sous le pied de Farage et apaiser son aile la plus conservatrice, David Cameron annonce qu'il organisera un vote sur la sortie de l'UE en cas de victoire aux élections générales, deux ans plus tard.
Jusqu’au-boutisme
En 2014, l’Ukip remporte les élections européennes, avec 26 % des suffrages et 24 députés. C’est la première fois dans l’histoire moderne britannique qu’une élection nationale échappe aux travaillistes ou aux conservateurs. Ce résultat valide à la fois la stratégie de Cameron et l’enferme dans le jusqu’au-boutisme sur la question du référendum, devenue, plus que son bilan plutôt positif, l’argument de campagne numéro 1 des tories aux élections générales.
Sur le papier, le pari marche : le 7 mai 2015, les conservateurs remportent les élections à la majorité absolue, contre toute attente. C'est la plus grande victoire de la carrière de Cameron - elle s'avérera vénéneuse. Fin 2015, le Premier ministre tente d'arracher des concessions à ses partenaires européens, afin d'avoir des arguments pour éviter un Brexit. Mais la folle machine est lancée. En février, quand Cameron dévoile la date du référendum, Boris Johnson, dont le mandat de maire de Londres s'achève, annonce après des mois de tergiversations qu'il sera le porte-voix du camp du leave. Avec l'arrière-pensée à peine cachée qu'il pourrait prendre la place de Cameron à la tête du parti - et donc du pays - en cas de défaite du remain. Le conservateur peroxydé multiplie les transgressions (expliquant par exemple que l'UE était le rêve de Hitler) et donne du volume à la campagne des europhobes. David Cameron, stratège mais peu doué pour les campagnes, s'enlise. Le camp du remain, guère aidé il est vrai par le leader des travaillistes, Jeremy Corbyn, intimement eurosceptique mais officiellement sur la ligne pro-européenne de son parti, peine à convaincre avec ses arguments purement économiques.
Le référendum était le calcul de trop. Cameron savait le pari risqué mais s’imaginait capable de faire triompher le statu quo, probablement rassuré par son élection confortable. Il apparaît aujourd’hui que, plus que sa personne, c’était sa promesse suicidaire que les électeurs avaient plébiscitée.