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Libération
Espagne

Mariano Rajoy, l’insubmersible insipide

Affaires de corruption, réformes contestées… Tout semble glisser sur l’ennuyeux chef du parti conservateur, qui pourrait arriver en tête dimanche aux législatives.
Le chef du gouvernement sortant en plein effort pour paraître sympathique, en campagne à Séville jeudi. (Photo Marcelo del Pozo. Reuters)
publié le 24 juin 2016 à 18h31

Face à la polémique incendiaire, il demeure impavide, inébranlable. Un scandale majuscule, incriminant son ministre de l'Intérieur et un haut fonctionnaire chargé de la lutte antifraude - lesquels auraient tenté en douce de salir des dirigeants catalans séparatistes - fait rage ces jours-ci ; mais lui, Mariano Rajoy, ne frémit pas d'un pouce. Poussé dans ses retranchements par l'insistance des médias, il ne lâchera qu'une petite déclaration : «Il n'y a là rien de singulier […]. C'est évidemment un coup bas pour nous affaiblir juste avant les élections, c'est gros comme une maison.» Bien entendu, le ministre en question, Jorge Fernández Diaz - dont la demande (enregistrée à son insu) de faire «fuiter» de fausses informations passe en boucle sur les réseaux sociaux -, ne sera pas poussé à la démission.

Bien entendu, il ne se passera rien. Car, avec Mariano Rajoy, il ne se passe jamais rien. «C'est sa force, pas de secousse, pas de séisme, avec lui tout est toujours calme, résume le chroniqueur Raúl del Pozo. C'est pourquoi il est incombustible».

Le morne et gris chef du gouvernement, aux manettes depuis fin 2011 - de façon intérimaire depuis décembre - est un mystère politique. Son discours est plat, ses formules creuses («Nous devons faire nos devoirs en tant que pays», «Avec moi, les choses iront mieux»…), sa phraséologie de fils de magistrat ennuyeuse. Dans les sondages, il est le dirigeant le moins apprécié, il ne brille pas même dans les rangs du Parti populaire (PP), la grande formation conservatrice qu'il dirige depuis 2004.

Sans expression

Et pourtant, il résiste à tous les chocs, à toutes les attaques. Echalas qui ne semble pas quoi faire de sa haute taille, barbe poivre et sel d'un professeur de l'ancien régime, yeux ronds sans expression derrière des lunettes qu'il ne cesse de réajuster, Mariano Rajoy, 61 ans, est «un résistant, un coureur de fond», comme le dit un cadre de son parti.

Rajoy est un roc. Depuis quatre ans, cet amateur de vélo a dirigé le pays alors que celui-ci était au bord de la banqueroute et d’un «sauvetage» par Bruxelles ; il a promulgué une réforme du travail bien plus libérale que la loi El Khomri (qui a précarisé l’emploi, mais a fait baisser le chômage) ; il a été au centre d’une série de scandales de corruption ; il a même fricoté avec l’ex-trésorier du PP, Luis Bárcenas, sorte de Jérôme Cahuzac espagnol, incarcéré pour avoir caché de l’argent en Suisse. Et pourtant. Mariano Rajoy survit, se maintient, s’impose. Aux législatives de décembre, il arracha la victoire - courte il est vrai - avec 129 sièges, loin devant le Parti socialiste. Et, quoiqu’infréquentable pour ses rivaux, il est le favori du scrutin de ce dimanche.

«Monstre de normalité»

Personne n'avait parié un sou sur ce politicien venu de Galice, marié, père de deux fils, qui se dit être «un monstre de normalité dans la vie privée». Issu de la haute bourgeoisie, frère d'un notaire et de deux hauts fonctionnaires au registre foncier (comme lui), il a gravi les échelons sans bruit, dès 1989, lorsqu'il devient député. Sous le règne de José María Aznar, il détiendra quatre portefeuilles ministériels et sera désigné «dauphin», sans doute car perçu comme inoffensif. Il a prouvé le contraire. «Je me sens plus fort que jamais», a-t-il dit cette semaine. «Il n'est pas beau, le croque le site Eldiario.es , mais il n'en a pas besoin. Dans un pays en proie à l'instabilité, il a un côté papa poule rassurant pour l'électorat conservateur.» Il en a encore joué après l'annonce de la victoire du Brexit vendredi, se posant en garant de la solidité des institutions et de l'économie face aux anti-austérité de Podemos. Ces dernières semaines, on a pu le voir montrer «sa facette la plus humaine», «proche des gens» dans des talk-shows. Rajoy finira-t-il par paraître sympathique ? Qui sait ?