Pour le patron de la recherche économique de la banque Natixis, Patrick Artus, le Brexit ne peut que déboucher sur une chute de la croissance du Royaume-Uni.
Les banques centrales sont à la manœuvre, êtes-vous rassuré ?
Le Brexit n’est pas un choc considérable. Nous ne sommes pas dans une situation de crise financière déclenchée par des emprunteurs qui se retrouvent dans l’incapacité de rembourser leurs dettes. C’est ce qui s’était passé à la fin des années 90, lors de l’explosion de la bulle internet, ou en 2007, lors de la crise des subprimes. Le Brexit n’a rien à voir avec une situation de défaut de crédit. Aujourd’hui, le bilan des banques est exactement le même que celui qu’elles avaient hier. La Banque centrale européenne a mis en place une politique monétaire qui permet aux banques de s’endetter à taux négatifs, et ce, pour une période de temps illimitée. Ce qui devrait, du moins pour l’instant, éviter une crise bancaire en zone euro.
Ce sont essentiellement des comportements de spéculation ?
C’est aussi la masse de plus en plus importante de liquidité monétaire injectée par les banques centrales et le trading à haute fréquence qui expliquent la violence de ces réactions.
Comment le Brexit peut-il affecter l’économie britannique ?
Tout va se compliquer sur le plan macroéconomique. Le déficit extérieur du pays atteint les 7 %. C’est une économie de services, et elle importe la quasi-totalité des produits qu’elle consomme. En clair, le déficit extérieur des biens est de 10 % et l’excédent des services bancaires, juridiques, financiers et autres est de 3 %. Le Brexit va rendre le financement de ce déficit compliqué. En clair, les investissements étrangers et autres placements financiers venant de l’extérieur vont se tarir. Ce qui va impliquer une chute des entrées de devises étrangères, qui va peser sur le taux de change de la livre sterling. Moins demandée, elle va perdre de sa valeur…
Mais c’est bon pour les exportations…
La chute de la livre ne va pas rendre plus compétitifs les produits britanniques. Encore une fois, le pays exporte des services complexes, et les prix élevés de ses services financiers ou juridiques ne sont pas un frein aux exportations. Par contre, le taux de change de la livre va chuter. Et cette chute va se traduire par un renchérissement des importations de biens manufacturés. Ce qui va provoquer une perte de pouvoir d’achat des Anglais qui, à son tour, va entraîner une baisse de la consommation des ménages. Au bout du compte, la croissance va vite chuter. Tout le monde peut comprendre que les entreprises n’ont aucun intérêt à investir dans un pays dont la croissance risque de chuter de près de 2 % par an pendant les deux ou trois prochaines années.
Quels effets de ce côté-là pour le reste des pays de l’UE ?
L’effet sera doublement négatif. Pour continuer à vendre aux Anglais, les entreprises du continent vont devoir baisser leurs prix. L’effet de transmission de la crise passe par une dépréciation du taux de change. Pour l’ensemble de la zone euro, la perte de croissance pourrait atteindre 0,3 %. Dans l’absolu, cela peut paraître peu, mais c’est beaucoup dès lors que la croissance de la zone euro n’est que de 1,6 %. Ce sont là des effets purement mécaniques, qui ne tiennent pas compte du volet psychologique.
Quel est le pire des scénarios pour le Royaume-Uni ?
On ne peut pas exclure un effondrement du marché de l’immobilier. A Londres, par exemple, les prix sont faits par les investissements étrangers. Or, depuis deux mois, ils ont déserté ce marché. Le risque ? C’est qu’on assiste à la fin de l’effet richesse. Dans les grandes villes, là où l’immobilier explose, les Anglais se sentent plus riches dès qu’ils acquièrent un bien immobilier. Se sentant plus riches, ils consomment plus, et vont même jusqu’à s’endetter encore plus. Mais si les prix de l’immobilier s’effondrent, alors cet effet richesse ne manquera pas de s’évaporer. Et ce serait encore moins de consommation, moins de croissance, moins d’investissement…
Les Britanniques ont-ils tout faux ?
Oui. Car ils ont imaginé qu’ils iraient mieux avec une livre dépréciée. Or le Brexit va fabriquer une dépréciation structurelle de la livre qui va faire, comme nous l’avons dit, plus de mal que de bien. Ils ont cru qu’ils pourront commercialiser plus avec le reste du monde. C’est ne pas voir que le commerce mondial ralentit tandis que le commerce régional est toujours plus important. C’est ne pas voir que la consommation se fait de plus en plus près des lieux de fabrication, contrainte environnementale oblige. Et ce mouvement de régionalisation va s’accélérer.