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Libération

Vendredi noir à la City

Le quartier londonien a vécu un calvaire, entre stupéfaction et panique.
Des traders du groupe de courtage BGC, à Londres, vendredi, après l’annonce du résultat du référendum. (Photo Russell Boyce. Reuters)
publié le 24 juin 2016 à 19h51

C'est le quartier de la finance mondiale, celui qui accueille le London Stock Exchange. C'est le quartier du plus grand marché de réassurance au monde, de la Banque d'Angleterre et de 500 banques et autres multinationales qui y ont élu domicile dans d'immenses buildings. C'est la City de Londres, ce haut lieu des traders et des primes de fin d'années démesurées, qui s'est réveillé vendredi matin avec la gueule de bois. «C'est un cataclysme, un putain de désastre», résume l'économiste d'une compagnie de réassurance que les grandes manœuvres financières lancées par la Banque d'Angleterre ne suffisent pas à consoler.

Séisme

Dans la plupart des grandes banques et autres compagnies d'assurance, c'était nuit de veille entre jeudi soir et vendredi matin. Devant des écrans, il y avait des traders bien sûr. Mais aussi des économistes et des analystes financiers. Ils étaient là à scruter les grandes places asiatiques. Inquiets ? «Bien sûr que nous l'étions. Mais la plupart d'entre nous étions convaincus du maintien de Royaume-Uni dans l'UE», résume une spécialiste des matières premières qui travaille à la City. Et de confirmer : «Dans d'autres salles de marché, c'était même champagne avant l'heure tant des opérateurs de marché étaient persuadés que le remain l'emporterait sur le leave.» Chez les bookmakers, la cote donnait 80 % des intentions de vote en faveur du remain. Au milieu de la nuit, un premier résultat semble même leur donner raison. Mais au petit matin, lorsque se confirme la rumeur du Brexit, c'est la douche froide. Cette fois, la messe est dite : le Royaume-Uni va devoir affronter les vents tourbillonnants des marchés financiers.

Dans les salles de marché de la City, les courbes et autres indices qui s’affichent sur les écrans piquent du nez. L’indice Nikkei de la Bourse de Tokyo n’affiche plus que 12 860 points, cédant 7,95 % en un temps record. Toutes les autres places asiatiques lui emboîtent le pas. En attendant l’ouverture des places européennes, Japonais, Européens, Américains et Britanniques ont mis leurs banques centrales en ordre de bataille. Il faut tout faire pour éviter un séisme monétaire qui pourrait mettre à genoux la devise anglaise. Alors à coups de milliards de yens, d’euros et de dollars, la BOJ pour le Japon, le BCE pour la zone euro, la Fed pour les Etats-Unis achètent de la livre sterling avec leurs devises respectives. Mais en vain. Malgré toutes ces munitions, cette coordination monétaire, la livre sterling chère aux sujets de Sa Majesté est à terre. Face au dollar, elle perd plus de 13 % de sa valeur en moins de trois heures. Du jamais-vu depuis trente ans.

Pour les valeurs, c'est un véritable jeu de massacre. Si l'indice boursier phare de Londres n'aura bizarrement perdu que 3 %, les investisseurs vendent à tour de bras tout ce qui ressemble, de près ou de loin, à une valeur bancaire. En quelques heures, c'est l'effondrement : - 30 %. «On est en pleine panique, confie l'économiste Valérie Plagnol. Il va falloir plusieurs semaines avant de commencer à y voir un peu plus clair. C'est un massacre.»

Pris à contre-pied par une sortie du Royaume-Uni qu’ils n’attendaient pas, les marchés financiers accusent le coup partout en Europe. «Vendredi noir», «krach», toutes les places financières européennes chutent. A Paris, la dégringolade du CAC frôle les 8 %. Idem sur le reste des autres grandes places européenes. Dans la ligne de mire des marchés financiers, les banques, comme la Deutsche Bank qui s’effondre de 17 %, le Crédit agricole de 14 %, BNP Paribas de 17 % et la Société générale de 20 %.

Refuges

«C'est clairement un très gros choc pour les marchés et pour le Royaume-Uni, c'est un séisme dont les implications vont indubitablement aller au-delà des frontières britanniques, avec un effet immédiat et potentiellement durable sur les échanges commerciaux et sur tous les actifs financiers», affirme Matthew Beesley, de la société de gestion britannique Henderson Global Investors. «C'est un des plus gros chocs sur les marchés de tous les temps», déclare à l'AFP un analyste financier d'ETX Capital. Et d'ajouter : «Les répercussions du vote vont se faire sentir dans le monde entier. L'ampleur des dégâts est difficile à évaluer, mais il sera probablement plus important que tous les événements survenus depuis la faillite de la banque Lehman Brothers en 2008.»

Un peu plus tard dans la journée l'onde de choc va traverser l'Atlantique pour atteindre Wall Street. La Bourse de New York enregistre une baisse de 5 %. En Europe, plus qu'ailleurs, les investisseurs ne semblent avoir qu'une préoccupation : vendre des valeurs risquées pour placer le produit de cette vente sur des valeurs refuges, comme l'or, le yen ou encore (une fois n'est pas coutume) des obligations publiques allemandes, tellement recherchées que leur taux à dix ans est à nouveau repassé en territoire négatif. Vendredi, des gérants d'actifs financiers estimaient que «le choc [était] absorbable». Reste que le principal poids qui pèse sur les marchés est celui de l'incertitude. Leur pire ennemi.