Ils ont manifesté en rêvant de balancer leurs bananes et leurs casseroles dans la face de leur classe politique mouillée dans les Panama Papers. Pendant plus d’une semaine en avril, ils se sont massés devant le Parlement de Reykjavik comme lors du krach qui avait mis le pays à genoux en 2008-2009. Ils ont eu la peau de leur Premier ministre Sigmundur David Gunnlaugsson, à la tête d’une coalition entre le Parti du progrès (libéral, de centre droit) et le Parti de l’indépendance (conservateur). Mais les Islandais iront-ils voter ce samedi, jour de présidentielle ?
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«Mais tous les Islandais sont à Paris. Je me demande bien qui va aller aux urnes», badine Michel Sallé, docteur en sciences politiques spécialiste de l'Islande (1). «Oui c'est important la présidentielle. Mais je suis venu en France pour le match Islande-Autriche. Et je vais rester», enchaîne Orn Ulfar Sævarsson, publicitaire. «Je dois me secouer pour penser à cette élection, confie le romancier et poète Eirikur Orn Norddahl (2). En ce moment, il n'y a guère de place pour autre chose que le football. La victoire de notre équipe contre l'Autriche m'a mis les nerfs à vif. Je n'arrive toujours pas à croire que nous sommes en huitièmes de finale. Et tout le pays est comme moi. En panique. Et en train d'essayer d'avoir des billets pour Paris et le match de lundi. Si tout le monde oublie de voter, on saura pourquoi…»
Les Islandais auraient-ils été maraboutés par les crampons des «Strákarnir okkar» («nos garçons»), surnom de leur équipe de foot, sorte de petit Poucet des glaces qui chahute l'Euro ? Ce petit pays (332 529 habitants au 1er janvier 2016, 245 004 inscrits sur les listes électorales) très éruptif accuse-t-il une forme de ramollissement politique après la colère de ces derniers mois ? Décryptage.
Voter, voter, mais pourquoi voter ?
D'accord, dans un régime parlementaire, une présidentielle n'est pas la grande affaire. De fait, le président islandais, élu au suffrage universel direct tous les quatre ans avec un mandat renouvelable a peu de pouvoirs. Son rôle est essentiellement protocolaire (inauguration d'icebergs, etc.), même s'il peut procéder à des référendums. Mais, et c'est un gros mais, l'élection de samedi est la première depuis la crise des Panama papers. Elle est l'occasion d'un renouvellement tant appelé par la rue il y a quelques mois. D'autant que le président Olafur Ragnar Grimsson, 73 ans, occupe ce poste depuis vingt ans, ayant accompli cinq mandats successifs. Il y a donc du symbole dans l'histoire. Même si la «vraie» échéance, celles des législatives, aura lieu en automne, comme l'ont obtenu les révoltés du Panama papers. Même si l'actuel Premier ministre – Sigurdur Ingi Johannsson du Parti du progrès – traîne les pieds. Et même si la rue n'est plus aussi incandescente. «Le soufflé est un peu retombé», affirme Michel Sallé. «Je confirme, ajoute Eirikur Orn Norddahl. Les gens sont fatigués d'être en colère. Il y a toujours deux ministres mentionnés dans les Panama papers en poste au gouvernement. Nous avons une mémoire de poisson rouge. Ceux qui nous dirigent actuellement sont les mêmes que ceux que nous avions chassés après le krach.» «Mais il va encore y avoir des révélations. Et le Premier ministre dont nous avons obtenu la démission manœuvre déjà pour revenir. Alors, même si le rôle du président est surtout symbolique, cette élection n'est pas rien», enchaîne Orn Ulfar Sævarsson.
Qui est candidat ?
Signe quand même que l'envie de renouveau est là, neuf candidats briguent le poste de président. Un record. D'autant que Olafur Ragnar Grimsson qui lors de ses vœux pour 2016 avait annoncé qu'il ne serait pas candidat à sa succession a finalement proposé ses services. Se posant en «guide dans le chaos» causé par les Panama papers. Puis jetant l'éponge quand il s'est avéré que son épouse et sa famille figuraient sur la maudite liste. Depuis ce retournement de situation, les Islandais s'offrent le luxe de pouvoir hésiter entre des aspirants venant de la société civile et occupant des emplois qui tranchent avec la mention «énarque». Ainsi a-t-on repéré un guérisseur (si), une nurse, une conductrice de camion, et une auteure de poésie et de théâtre. Mais le match s'est surtout déroulé entre Gudni Johannesson, historien de 47 ans, affilié à aucun parti. Et un certain David Oddsson, ancien Premier ministre (de 1991 à 2004), ex-directeur de la banque centrale d'Islande, membre du parti de l'indépendance. Normalement, souligne Michel sallé, «le président en Islande n'est pas censé être lié à un parti, et être issu de la société civile. Oddsson est un cas à part». «Pour beaucoup, c'est une sorte de Voldemort», persifle Eirikur Orn Norddahl. Un homme associé au krach. Celui qu'on ne veut pas revoir au pouvoir.
Et à la fin qui gagne ?
Pourtant bien parti dans les sondages, Oddsson est aujourd'hui largement devancé par une femme : Halla Tomasdottir, cofondatrice (avec une autre femme) d'Audur Capital, un fonds qui a résisté au krach et promeut la place des femmes dans la finance. Mais le grand favori n'est autre que le susnommé Gudni Johannesson qui a su mettre en avant sa virginité politique et se présente comme un candidat en prise directe avec le peuple, faisant fi des partis. Son programme : moderniser la vie politique, en garantissant que l'électorat sera mieux entendu que par l'actuel gouvernement de centre-droit. Il propose notamment l'instauration du référendum d'initiative populaire. Les Islandais le connaissaient comme commentateur de la vie politique, le voilà à deux pas de l'incarner (il est crédité de plus de 50% des intentions de vote dans les sondages). Mais l'homme est prudent : «Je suis très reconnaissant du grand soutien dont j'ai bénéficié, mais je sais, en tant que passionné de sport, qu'on ne peut jamais fêter la victoire avant le coup de sifflet final.»
(1) Auteur de l'Islande, ed. Karthala, 2013
(2) Dernier ouvrage paru : Illska, le Mal, ed. Métailié, 2015.