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Libération
Reportage

A Caerphilly, la victoire en doutant

La petite ville galloise, qui a voté «leave», organisait samedi ses traditionnelles célébrations militaires. Les réactions au scrutin sont partagée
Caerphilly, le 25 juin 2016. (Photo Clementine Schneidermann pour Libération)
publié le 26 juin 2016 à 13h14

Des Union Jacks un peu partout, des vitrines aux réverbères en passant par les poussettes, décorent Caerphilly, qui jeudi a choisi très largement le out. Mais, deux jours après le référendum de sortie de l'Union européenne, ce n'est pourtant pas le Brexit et la «souveraineté retrouvée» du pays de Galles, tant prônée par le camp du leave, que célèbre l'étendard britannique dans cette ville galloise de 30 000 habitants, au nord de Cardiff. Mais ses soldats, vétérans ou en service, pour le «South Wales Armed Forces Day», comme tous les ans.

Des tentes blanches et une exposition de blindés ont été installés près du château médiéval, qui trône au cœur de Caerphilly. Des familles et des jeunes de la marine font la queue pour un café ou un hot-dog. Des coquelicots, symbole des combattants dans les pays du Commonwealth, ont fleuri sur les boutonnières. Assis sur des chaises en plastique, des uniformes bleus dégustent leur fish and chips, en prenant soin de ne pas salir leur rangée de médailles au poitrail. «Ici, vous ne trouverez pas grand monde qui a voté pour le remain: aucun soldat britannique ne voudrait d'une armée européenne !» avance avec autorité le sergent-major Francis David, 66 ans. Lui a voté out, parce qu'il ne veut «pas être dans une Europe dirigée par Merkel». Son ami Brian, «brexiter» également, tempère un peu : «Je ne peux pas vraiment dire que je suis content de ce résultat : c'est trop tôt pour le savoir, on verra…» De l'autre côté de la table, dans tous les sens du terme – il a voté remain –, Colin, ancien réserviste, s'inquiète : «Tant de choses vont changer ! Les papiers d'identité, les plaques d'immatriculation, les taux de change… Voyager à l'étranger va être beaucoup plus compliqué, et sans doute plus cher.»

Sous son parapluie multicolore, le travailliste Wayne David (Photo Clementine Schneidermann pour Libération) ne décolère pas. Ce membre du parlement britannique pour Caerphilly est venu faire un tour aux célébrations militaires, mais le cœur n'y est pas. «J'ai honte, lance-t-il, le regard droit. Le Brexit est le résultat de la pire forme de politique émotionnelle, d'extrême droite, basée sur la peur de l'immigré, la peur de Bruxelles… C'est la pire décision prise par ce pays depuis toujours. Et maintenant, on doit renégocier dans la pire des positions les termes de tous nos traités.»

Pintes de bières à la main, Neil et Stephen, deux anciens soldats aujourd'hui dans le bâtiment, répondent en chœur qu'ils ont voté out. «Et bientôt, tous les pays d'Europe vont faire pareil que nous, un par un!» s'enthousiasment-ils. Rencontré un peu plus loin, Dylan, un détaillant de 43 ans, est moins sûr de lui: «J'ai voté pour le leave, mais maintenant j'appréhende la suite. Il fallait vraiment que quelque chose change, mais je n'ai pas pensé une seconde que le Brexit pouvait l'emporter.»

Ces jours-ci, la presse et les réseaux sociaux relayent de nombreux messages de Britanniques qui disent regretter leur vote. «Ils ont pensé que leur bulletin était inoffensif, que c'était plié d'avance pour le remain, analyse Roger Scully, professeur de sciences politiques à l'université de Cardiff. Mais il est impossible de savoir ce qu'ils représentent statistiquement. Mais pour beaucoup, semble-t-il, il s'agissait d'un vote sanction, et non d'un réel engagement contre l'Union européenne.»

Pas de meeting de victoire

La capitale, Cardiff, et le Monmouthshire exceptés, le sud du pays de Galles, traditionnelle terre de gauche et industrielle, a largement voté pour le leave: 56% à Newport et Port Talbot, 58% pour Caerphilly, 62% dans le comté du Blaenau Gwent… On voyait déjà les podiums, les micros et les applaudissements, pour cette victoire nette et sans bavure du camp du out. Celui-ci l'a pourtant joué profil bas, à l'instar d'un Boris Johnson à Londres au lendemain du vote. Ni rassemblements, ni conférences de presse n'ont été organisés au pays de Galles pour célébrer le succès d'une campagne pourtant menée pendant des mois. La branche galloise du parti europhobe et nationaliste Ukip s'est contentée d'un petit événement vendredi après-midi, dans le centre-ville de Newport. Agglutinés sous trois parapluies, les soutiens étaient très peu nombreux, surtout des membres de l'équipe de campagne. Nathan Gill, député européen et l'un des sept élus Ukip à l'assemblée nationale du pays des Galles, a même été interrompu par des passants mécontents.

«On fait campagne depuis des mois, tout le monde est épuisé, on peut enfin passer du temps avec nos proches», argue Llyr Powell, l'assistant parlementaire de Nathan Gill, pour justifier l'absence de meeting de la victoire. «Il n'y a rien à fêter: ça a été un référendum très important et très sérieux, nous avons du travail, et il faut respecter les 48% de Britanniques qui ont voté pour le remain», rétorque Andrew R.T. Davies, le chef des conservateurs à l'Assemblée galloise, également pro-Brexit. «Le camp du leave est surtout très divisé, au pays de Galles comme ailleurs, corrige Roger Scully. Les conservateurs ont été ravis d'utiliser l'Ukip pour l'emporter, mais désormais, ils veulent prendre leurs distances de Nigel Farage et de son parti. Cette campagne manque de sérieux depuis le début: outre l'utilisation de chiffres insensés, ils n'ont jamais été capables de présenter un scénario de sortie de l'Union européenne». Quitte à donner l'impression d'être totalement amateurs. Ou même, comme certains votants, de ne pas jamais avoir cru qu'une victoire du Brexit était possible.