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Black monday?

L'onde de choc du Brexit déferle sur la City

Première place financière mondiale, Londres pourrait perdre des milliers d'emplois dans le secteur après la victoire du «leave». Les banques françaises se disent en mesure de limiter la casse tandis que la course entre les capitales financières est lancée pour récupérer les dépouilles de la City.
Sous le choc du Brexit, un passant traverse le London Bridge, le 24 juin. (Photo Immo Klink pour Libération)
publié le 26 juin 2016 à 18h41
Matraquées en Bourse au lendemain d’un Brexit auquel, de leur propre aveu, ils ne croyaient pas, les patrons des banques françaises gardent leur sang froid. «La sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne est un choc important, admet un dirigeant d’un des principaux établissements financiers français. Mais le vrai désarroi est pour Londres, la City et les banques anglo-saxonnes qui y opèrent. Pas vraiment pour la zone euro. Pour nous, une sortie de la Grèce aurait été beaucoup plus grave : contrairement au Royaume-Uni pour qui l’Europe était une simple zone de libre échange, la Grèce a participé aux différents stades d’intégration de l’Union : Shengen, l’euro, l’union bancaire…»

Plutôt que le catastrophisme, c'est donc l'attentisme qui prévaut sur la place de Paris, où les valeurs bancaires n'en n'ont pas moins vécu un vendredi noir : l'indice européen des banques a plongé de plus de 13,04% vendredi, retombant au niveau de 2012, au moment où on craignait l'explosion de la zone euro avec la crise grecque. BNP Paribas a perdu 17,4%, la Société Générale 20,6% et le Crédit Agricole 14%, tandis que Natixis a abandonné 17,13%.

Le «passeport» financier européen

«On a besoin de temps, estime notre grand banquier. Il nous faut comprendre de quels types de services vont avoir besoins nos clients, et voir comment vont se passer les négociations entre le Royaume-Uni et l'Union européenne. On n'est pas en situation de risque. On n'a pas de plan établi. On s'adaptera au fur et à mesure, en fonction des évènements et des réactions des marchés.» La Fédération bancaire française (FBF) a estimé vendredi que la réaction des marchés financiers au Brexit était «gérable» et que les banques françaises étaient préparées pour gérer les conséquences immédiates du référendum au Royaume-Uni. Le président de la FBF, Frédéric Oudéa, qui est aussi directeur général de Société générale, a en outre indiqué que les banques françaises ne s'attendaient pas à un impact significatif de la volatilité des marchés des changes sur leurs résultats. «Les banques françaises sont parfaitement préparées, a-t-il estimé dans une interview aux Echos. Il n'y a pas de sujet de liquidité, la banque centrale britannique a pris des mesures», a-t-il rappelé. Sur l'échelle de gravité des crises financières, «pour moi, cet événement n'a rien à voir avec les crises aiguës de 2011 ou 2008 qui touchaient directement les banques. Je le classe dans une catégorie à part.»

A Paris, Francfort, Luxembourg, et Dublin, l’espoir de se partager l'alléchant butin de la City pourrait rapidement effacer le traumatisme de la sortie du Royaume-Uni. Redevenue l’an dernier la première place financière mondiale devant New York, la City londonienne se prépare à voir des milliers de banquiers faire leurs valises pour Francfort, Paris ou Dublin. Le président de Paris Europlace, Gérard Mestrallet, a donné le ton vendredi. Il réclame, outre le rapatriement dans la zone euro des infrastructures de compensation de l’euro actuellement à Londres, que le Royaume-Uni «perde le bénéfice du passeport européen pour l’accès aux marchés financiers». En clair, un établissement financier qui serait uniquement implanté à Londres ne pourrait plus avoir accès à la zone euro : de quoi inciter de grandes banques britanniques comme HSBC et Barclays, mais aussi américaines comme JP Morgan et Goldman Sachs, à déménager une partie significative de leur activité et de leurs effectifs sur le continent. Avant même le résultat du référendum britannique, HSBC avait estimé qu’un Brexit l’obligerait à déménager en zone euro près d’un millier d’emplois… La banque américaine JP Morgan, qui emploie 16 000 personnes au Royaume-Uni, a elle aussi prévenu vendredi qu’elle pourrait déplacer des emplois. Au total, le cabinet PwC estime que le Brexit pourrait coûter 70 000 à 100 000 emplois dans le secteur des services financiers britanniques d’ici 2020.
«Vis à vis des épargnants comme des clients, l’Union européenne ne peut tout de même pas accorder un passeport financier à des pays non membre qui ne sont pas tenus de respecter ses règles !», abonde le patron d’une grande banque française. «C’est un problème de responsabilité. Pour la compensation c’est pareil : une devise est normalement compensée sur son territoire. La BCE n’avait accordé ce privilège à Londres que parce que le Royaume-Uni était membre de l’Union européenne. Puisque cette condition n’est plus remplie, il est logique que cela change. Les banquiers britanniques ne se faisaient pas d’illusions, c’est d’ailleurs pourquoi ils étaient contre le Brexit.»

Les capitales fiancières européennes à la manœuvre

Le maire de Londres Sadiq Khan –fervent partisan du maintien– a appelé les entreprises à «ne pas paniquer» et assuré dans ce qui ressemble à un vœu pieux que sa ville resterait «le meilleur endroit au monde pour faire des affaires». Mais des villes concurrentes déploient déjà le tapis rouge. La présidente de la région Ile-de-France, Valérie Pécresse, a assuré être «prête à accueillir tous ceux qui veulent revenir en Europe», qualifiant sa région de «nouveau Londres». Et pour Frédéric Oudéa, «la place de Paris a une opportunité et en même temps par rapport à d’autres places, elle n’est pas forcément en tête […], c’est là qu’il faudra voir si Paris veut tirer profit de cela», a-t-il estimé. Frankfurt Main Finance, une association de défense des intérêts de la place francfortoise, a déjà lance une campagne sur les réseaux sociaux intitulée –en anglais dans le texte– «Welcome to Frankfurt - What can we do for you ?». «Nous pensons qu’entre 1,5 et 2% des emplois financiers de Londres pourraient arriver à Francfort dans les cinq années qui viennent. Ce serait entre 10 000 et 15 000 emplois», a déclaré son directeur, Hubertus Väth.
L’Irlande s’est aussi depuis longtemps déjà positionnée, mettant notamment en avant l’utilisation de la langue anglaise. La banque américaine Citibank est déjà solidement implantée dans ce pays et pourrait du coup s’y renforcer. «L’Irlande est une économie flexible, concurrentielle et très qualifiée, ainsi qu’un endroit très attractif pour les affaires», estime Brendan Jennings, chez Deloitte Ireland. Le ministre des Finances, Michael Noonan a toutefois estimé qu’avec le Brexit, pour son pays, «les inconvénients sont certains tandis que les avantages sont spéculatifs». Professeur à l’université de Birmingham, Huw McCartney doute pour sa part que le référendum ait un impact énorme sur Londres. «La City restera un centre majeur pour les banques américaines et chinoises», estime-t-il. Et selon lui de toute façon, «le grand bénéficiaire devrait être New York».

Les marchés se préparent à un lundi difficile

Pour les financiers de la zone euro, la principale inconnue est politique : «La rencontre Hollande Merkel, lundi, sera très importante, estime notre banquier. Le couple franco-allemand a une responsabilité historique : il faut que les investisseurs du monde entier puisse en mesurer la solidité. Ils doivent comprendre que cette relation est capitale et qu’elle produit de l’ancrage, qu’elle peut transcender les débats nationaux et résister à la poussée des populismes.»
Surprise, la Bourse britannique a limité son repli à 2,76% vendredi. L’indice Footsie 100 a perdu beaucoup moins que Paris (-8,04%) Francfort (-6,82%), l’Euro Stoxx 50 (-8,21%) ou les Bourses du Sud (Milan et Madrid ont perdu plus de 12%). Il faut dire que la baisse de la livre offre un gain de compétitivité important aux sociétés exportatrices, nombreuses au sein du Footsie 100. Reste à voir comment réagiront les marchés lundi, après un week-end qui a confirmé qu’avec le Brexit, l’économie britannique était bel et bien rentrée dans une nouvelle ère d’incertitude. Or cette absence de visibilité est ce qui fait le plus peur aux investisseurs. Les bourses européennes, à commencer par celle de Londres, pourraient bien connaître demain un nouveau «black monday».