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Histoire

Echange taupe cubaine contre panthère noire évadée

publié le 27 juin 2016 à 18h41

Sur la liste des dix «terroristes» les plus recherchés par le FBI, la tête de Joanne Deborah Chesimard est mise à prix un million de dollars. Le site de la police fédérale américaine donne quelques pistes pour la reconnaître : «Elle a des cicatrices sur la poitrine, l'abdomen, l'épaule gauche et le genou gauche. […] Elle peut adopter des styles de coiffure très variés et porter des vêtements tribaux africains.»

Joanne Chesimard, alias Assata Shakur, militante de la cause noire au sein du Black Panther Party et de la Black Liberation Army, a été reconnue coupable en 1977 de la mort par balle d’un policier lors d’un contrôle dans le New Jersey. Malgré la faiblesse des charges contre elle (il n’a pas été prouvé qu’elle portait une arme ce jour-là), elle a été condamnée à la prison à perpétuité. Elle s’est évadée deux ans plus tard et, en 1984, elle est repérée à Cuba, où le régime communiste lui a accordé l’asile politique.

Medicare. Depuis que, le 17 décembre 2014, Washington et La Havane ont annoncé leur décision de reprendre leurs relations diplomatiques interrompues en 1961, des réunions mensuelles ont lieu entre les deux pays. Elles portent sur des thèmes politiques et économiques, mais aussi sur la collaboration judiciaire. Les Etats-Unis réclament plusieurs dizaines de transfuges, citoyens américains installés sur l'île pour fuir des condamnations. Dans la plupart des cas, il s'agit de fraudes fiscales ou d'arnaques au Medicare, l'assurance santé pour les plus de 65 ans. Mais il y a aussi des prisonniers politiques en fuite, membres des Black Panthers ou indépendantistes portoricains.

Assata Shakur est la plus célèbre d'entre eux. Elle est la sœur d'un autre militant, Mulutu Shakur, emprisonné depuis 1986 et qui devrait recouvrer la liberté le 15 décembre, à l'issue de trente ans de réclusion. Mulutu étant le beau-père du défunt rappeur Tupac Shakur, sa sœur a fait l'objet d'hommages de la part de nombreux artistes hip-hop, comme A Song for Assata, du rappeur Common.

A La Havane, la transfuge a vécu sans se cacher, puisque son nom et son numéro de téléphone ont longtemps figuré dans l’annuaire. Elle a travaillé dans les programmes en anglais de Radio Habana, s’est exprimée dans la presse, a publié son autobiographie en 1987. Un documentaire lui a en outre été consacré.

Conviction. De leur côté, les Cubains ont aussi des espions dans les geôles américaines. Lors de la reprise des relations, Barack Obama a fait libérer les trois membres encore sous les verrous d'un groupe de cinq infiltrés.

L’agent cubain le plus médiatisé est Ana Belén Montes, arrêtée en 2001 par le FBI et condamnée en 2002 à 25 ans de prison. Cette fille d’un médecin de l’US Army, d’origine portoricaine, avait grimpé dans la hiérarchie du Pentagone jusqu’à devenir une des inspiratrices de la politique envers Cuba. Pendant une dizaine d’années, elle a transmis des informations sensibles, notamment l’identité d’espions américains opérant dans l’île. L’enquête sur ses activités n’a révélé aucun enrichissement personnel : Ana Montes a agi par conviction, et non par appât du gain. La perspective de sa libération, quelle qu’en soit la contrepartie, a suscité la colère des élus anticastristes de Floride, en premier lieu le sénateur Marco Rubio, candidat recalé à la primaire républicaine.

Côté cubain, l’extradition d’Assata Shakur et d’autres militants poursuivis pour raisons politiques semble peu probable : deux Black Panthers réfugiés à Cuba, Charles Hill et Nehanda Abiodun, ont annoncé il y a quelques jours avoir reçu l’assurance que leur statut ne serait pas remis en cause.