Convoquées pour sortir de la paralysie institutionnelle issue du scrutin de décembre, les législatives de dimanche, en Espagne, ont modifié la donne sans la bouleverser. Le Parti populaire de Mariano Rajoy, malgré une cascade de scandales de corruption, gagne 14 sièges et conforte sa place de premier parti, mais sans majorité absolue (lire ci-contre). A gauche, le duel entre sociaux-démocrates du PSOE et radicaux anti-austérité de Podemos a tourné à l'avantage des premiers, faisant mentir les sondages. Le revers de Podemos, qui perd de nombreuses voix même s'il garde le même nombre de sièges qu'en décembre, remet-il en cause la progression du mouvement ? La sociologue Héloïse Nez, maître de conférences à l'université François-Rabelais de Tours, auteure de Podemos, de l'indignation aux élections (1), nous livre son analyse.
En six mois, Podemos a perdu un million de voix. Est-ce la sanction d’une stratégie erronée de Pablo Iglesias ?
Je ne crois pas. La stratégie de Podemos a même été très cohérente, en refusant tout pacte de gouvernement qui inclurait Ciudadanos, tenant du libéralisme. Dans les discussions en vue de former une majorité, Podemos a surtout mis le PSOE face à ses contradictions.
Mais Podemos, en participant aux marchandages pour former un gouvernement de coalition, n’est-il pas devenu ce qu’il dénonce, un parti politicien ?
C'est le risque de tout mouvement qui décide d'entrer dans l'arène politique. Parmi les Indignés de 2011, certains refusaient catégoriquement de se transformer en parti pour ne pas ressembler aux «autres partis». Et pour participer au jeu politique, il faut définir une stratégie. Mais Podemos reste fidèle à ses principes de rénovation de la vie politique, avec l'adoption d'un code éthique contre la corruption et l'enrichissement, la limitation des mandats électifs à huit ans, la réduction des salaires des élus à trois fois le Smic espagnol (650 euros)…
Le Brexit a-t-il une part de responsabilité dans le semi-échec de Podemos ?
C’est probable. Dans leur soutien à un référendum d’autodétermination en Catalogne, Podemos a cité en exemple le vote pour ou contre l’indépendance de 2014 en Ecosse. Les autres forces politiques, les socialistes comme les conservateurs, s’en sont servies pour brandir le risque d’instabilité. Cette accusation a marqué la fin de la campagne.
Le Venezuela a aussi été très présent dans les débats…
L’argument n’est pas nouveau. Les liens de Podemos avec le Venezuela et le chavisme sont régulièrement agités comme un chiffon rouge par ses opposants. Le parti n’a jamais caché son intérêt pour les expériences de la nouvelle gauche latino-américaine. Mais il faut rappeler qu’il a pris ses distances avec le régime de Nicolás Maduro. Et Pablo Iglesias a souligné que ce qui intéresse les électeurs espagnols, c’est ce qui se passe dans leur pays, ce qui touche à leurs conditions de vie.
Podemos ne souffre-t-il pas aussi d’une position floue sur la Catalogne ?
Ce n’est plus le cas. Le mouvement a mis du temps à clarifier sa posture, d’où son résultat médiocre aux régionales catalanes de 2014. Depuis, Podemos s’est prononcé pour un référendum qui permette aux Catalans de décider de leur sort. Cette vision d’un Etat plurinational rencontre un écho limité dans certaines régions, en Andalousie par exemple, où Podemos a perdu du terrain dimanche. Mais elle lui permet de devenir la première force politique en Catalogne comme au Pays basque.
L’expérience de Podemos au sein des «municipalités du changement» élues en mai 2015 lui servira-t-elle au niveau national ?
Sans aucun doute. Podemos avait choisi de ne pas s’investir dans les municipales, jugeant que sa priorité était les législatives, six mois plus tard. Le parti a donc soutenu des listes issues de la société civile, qui ont conquis Barcelone, Madrid et d’autres grandes villes. Il est trop tôt pour tirer un bilan, mais Cadix, dont le maire est un militant de Podemos, a réussi à réduire de 10 % son énorme endettement, en faisant la chasse au gaspillage et en réduisant les salaires des élus. Et la part du budget de la ville consacrée aux dépenses sociales a augmenté de 30 %. Ce qui bat en brèche l’accusation lancée à la gauche radicale : vous n’avez pas d’expérience de la gestion, vous êtes irréalistes. Les réussites locales peuvent devenir un socle pour l’influence de Podemos.
(1) Ed. Les Petits Matins, 2015.