«Yo soy español, español, español !» («Je suis espagnol, espagnol, espagnol»). Au bas du siège du Parti populaire (PP), calle Genova à Madrid, ils étaient des milliers à pousser ce cri nationaliste, ivres de joie. Comme si le résultat de leur formation était historique, triomphal. Il ne l'est pas. Mais, à l'issue des deuxièmes législatives en six mois, les conservateurs espagnols ont réalisé une excellente performance, supérieure même à ce qu'annonçaient les enquêtes d'opinion les plus optimistes : être la seule formation à gagner des sièges par rapport au scrutin de décembre 2015, et en devançant de 52 sièges le rival socialiste ! Au lieu de 123 députés, le Parti populaire de Mariano Rajoy en obtient 137, et 33 % des suffrages (contre 28 %). Toutes les autres formations perdent des voix et des sièges (le Parti socialiste, 85 sièges, - 5), les centristes de Ciudadanos (- 8) ou maintiennent ceux qu'ils avaient (Podemos, indépendantistes catalans et basques).
Valeur-refuge. Dimanche soir, les observateurs avaient du mal à expliquer le si bon score de la formation conservatrice, au pouvoir depuis fin 2011, qui a promulgué une loi du travail impopulaire, imposé de sévères mesures d'austérité, et qui en outre a été éclaboussé par une bonne dizaine de scandales de corruption. Valeur-refuge face à l'essor annoncé (et qui ne s'est pas concrétisé) des alternatifs de Podemos ? Vote contre l'incertitude après le Brexit ? Réaction patriotique face aux velléités séparatistes en Catalogne (lire aussi en dernière page), alors même que Podemos soutient la tenue d'un référendum d'autodétermination et que les socialistes approuvent une réforme de la Constitution dans un sens plus fédéral ? Mobilisation pleine et entière d'un électorat fidèle, contrastant avec celle, plus faible, des formations rivales de gauche (ce que semble confirmer la participation, de 70 %) ? Un peu de tout cela. Néanmoins, si le triomphe de la droite ne cesse d'être surprenant, l'arrêt brutal de la progression de Podemos l'est tout autant. Depuis des semaines, les sondages prédisaient un sorpasso (mot tiré de l'italien), c'est-à-dire le dépassement du Parti socialiste par cette gauche radicale lancée il y a tout juste deux ans et qui, en décembre, est devenue à la surprise générale la troisième force parlementaire. Or, même si le Parti socialiste enregistre le pire score de son histoire, ce sorpasso ne s'est pas produit.
Gifle. Annoncé comme le grand gagnant de ce scrutin, le professeur de sciences politiques Pablo Iglesias - chef de file de Podemos - n'a gagné aucune circonscription de plus qu'aux législatives de décembre ; et a perdu environ un million de suffrages. Une gifle pour ce mouvement contestataire et anti-establishment qui ne jure que par la prise du pouvoir «afin de contrarier les plans insidieux de la caste oligarchique». «Podemos fait peur, les socialistes ne semblent pas savoir où ils vont, mais les "populares" sont très identifiables, a analysé la politologue libérale Edurne Uriarte. En ces temps agités, les électeurs ont besoin de valeurs sûres.»
Reste à aborder la question de la «gouvernabilité». Car l’Espagne, ce pays de majorités stables qui vit dans l’instabilité depuis six mois, est devenu un casse-tête institutionnel. Ces dernières semaines, aucun gouvernement n’a pu se former, en raison des intransigeances des uns et des autres. La situation est-elle aujourd’hui plus claire ? En partie, oui. Le fameux «front de gauche à la portugaise» (où la droite, qui a emporté les élections d’octobre 2015, a été reléguée dans l’opposition), qui semblait être la seule issue au blocage, est redevenu une chimère. Par contre, une coalition de centre droit est désormais imaginable : s’il obtient le soutien des centristes libéraux de Ciudadanos (32 sièges), le conservateur Mariano Rajoy, sorti renforcé de ce scrutin, comptabiliserait 169 sièges - soit seulement 7 de moins que la majorité absolue - et tablera sur l’abstention des socialistes. Rien n’est joué, bien sûr, et il faut s’attendre à de longues tractations d’ici à la constitution du nouveau Parlement, le 19 juillet. Si le jeu des coalitions demeure infructueux, il faudra organiser de nouvelles élections d’ici au printemps 2017.