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Libération
Vu de Chine

Le «So what ?» de la Chine face au Brexit

Le Premier ministre chinois s’est exprimé pour la première fois lundi sur le vote britannique lors du «Davos chinois» à Tianjin. La communauté d’affaires chinoise entrevoit peu de conséquences pour le pays.
Le Premier ministre chinois Li Keqiang à la tribune du Forum économique mondial de Tianjin, le 27 juin. (Photo Wang Zhao. AFP)
publié le 27 juin 2016 à 17h23

«L'impact du Brexit s'est déjà fait ressentir sur les marchés internationaux et l'incertitude va encore s'amplifier. Mais je veux être clair : l'Europe est un partenaire central pour la Chine. Nous sommes déterminés à faire prospérer les relations Chine-Royaume Uni et Chine-Europe.» Ce matin, dans son discours annuel ouvrant ce «Davos d'été» asiatique, le Premier ministre chinois Li Keqiang n'a prononcé que ces quelques mots sur le retrait britannique. Le sujet, pourtant, est omniprésent au 10e Forum économique mondial qui se tient depuis dimanche 26 juin à Tianjin, une ville de 15 millions d'habitants, située à une demi-heure de train de Pékin.

Cette prise de parole, brève et sans surprise, était néanmoins très attendue : depuis le leave britannique du 23 juin, seuls une porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères et le ministre des Finances avaient réagi en indiquant leur peu d'inquiétude après ce référendum historique. Cette fois, c'est le numéro deux du régime qui a confirmé que le vote britannique ne changeait rien du point de vue chinois, deuxième partenaire extérieur de l'UE après les Etats-Unis. Droit derrière son pupitre, en costume sombre et cravate bleu ciel, Li Keqiang s'est ensuite contenté de reprendre les éléments de langage que la diplomatie chinoise répète en boucle depuis la fin de la semaine dernière en appelant à une Union Européenne « stable et prospère ». « Nous vivons tous dans le même village global » a proclamé le Premier ministre.

La Chine présente dans l’immobilier et la finance outre-Manche

Ce message optimiste et rassurant de Li Keqiang est celui qui domine chez les Chinois présents pour ce grand rendez-vous des élites économiques organisé chaque été en Chine depuis 2007 par le Forum économique mondial, l'organisateur de Davos. Cette année, plus de 2000 personnalités du monde entier, parmi lesquelles le PDG d'Uber, Travis Kalanick, dont la société est en plein déploiement sur le marché chinois, mais aussi des scientifiques, des chercheurs et des économistes, avaient fait le déplacement pour débattre pendant trois jours de «la quatrième révolution industrielle et son impact transformationnel ». Dès l'ouverture du forum, dimanche matin, ce thème officiel a cependant été torpillé par le Brexit et, sur place, les membres du gouvernement chinois en ont profité pour rassurer la communauté d'affaires et les marchés boursiers. Avec, à chaque fois, un même message : la Chine sera peu affectée par la sortie du Royaume-Uni de l'Union Européenne.

«Par rapport à la crise financière internationale de 2008, c'est une tout autre histoire », relativise par exemple Li Daokui, économiste de renom au sein de l'université Tsinghua, l'une des meilleures du pays. « La majorité des investissements chinois au Royaume-Uni sont dans l'immobilier, la high-tech, la finance : ils sont aussi concentrés à Londres, qui va rester quoi qu'il arrive un centre financier international de premier plan, une grande capitale cosmopolite, analyse-t-il. En comparaison, les investissements chinois dans l'industrie britannique sont très faibles, car le Royaume-Uni n'est pas un centre important pour la production de biens de consommation, contrairement à la Pologne ou à la Hongrie. Si ces pays quittaient l'UE, les conséquences pour la Chine seraient bien plus fortes», expliquait-il à Libération ce matin à la sortie du discours de Li Keqiang.

«Ce n’est pas la fin du monde»

Ces quinze dernières années, le Royaume-Uni est devenu la première destination des investissements chinois en Europe : entre 2000 et 2015, les entreprises de Pékin y ont placé un milliard d’euros en moyenne chaque année, selon les chiffres du cabinet Rhodium. Sans être toutefois aussi incontournable pour les industriels chinois que l’Allemagne, le pays est néanmoins central dans la stratégie de nombreuses multinationales comme Huawei, numéro 1 mondial des équipementiers télécoms et l’un des sponsors du Forum économique mondial. Le puissant groupe de Shenzhen, dont le siège sur le Vieux Continent se trouve à Düsseldorf, réalise au Royaume-Uni la majeure partie de ses investissements européens.

«Le Brexit ? So what ! Ce n'est pas la fin du monde », affirme de son côté Victor Chu, un Hongkongais de 58 ans, PDG de First Eastern Investment Group, une société de capital-investissement basée à Hongkong. « C'est un choc, mais pas une crise », tempère également Zhang Yuyan, directeur de l'Institute of World Economics and Politics au sein de la CASS, l'Académie chinoise des sciences sociales. Les intervenants chinois ne l'ont pas dit, mais le Brexit créé de fait une instabilité politique, ce que la Chine a toujours détesté, à domicile comme à l'étranger. Un changement qui intervient en outre à un moment-clé puisque le continent européen est devenu le territoire de chasse privilégié des entreprises chinoises voulant s'internationaliser et monter en gamme. À Tianjin, un autre homme fort de la deuxième économie mondiale, patron de la NDRC, le super-ministère chinois en charge de la planification économique, a comme Li Keqiang essayé de rassurer : « l'impact du Brexit n'est pas aussi fort que nous l'avions imaginé, et nous avons un plan B », a affirmé Xu Shaoshi, sans toutefois donner plus de détails.