Seulement trois jours après le coup de tonnerre britannique, Angela Merkel a montré qu'elle n'avait pas l'intention de préparer l'avenir de l'UE dans la précipitation. C'est ce qu'elle a fait comprendre à plusieurs reprises lundi à Berlin, avant un dîner de travail préparatoire au sommet européen de ce mardi et mercredi avec François Hollande et Matteo Renzi. Malgré tout, lors d'un point de presse préalable, les trois dirigeants ont tenu à souligner que, dans les grandes lignes, ils étaient déterminés à marcher ensemble et qu'ils travaillaient à donner «une nouvelle impulsion» à l'Europe. Mais cette entente affichée cache mal les désaccords plus profonds sur l'art et la manière.
Emballement. Auparavant, à l'occasion d'une conférence de presse, Merkel avait expliqué qu'on «ne peut pas se permettre une longue période d'incertitude […] mais que le Royaume-Uni a besoin d'un certain temps pour analyser les choses, je le comprends». Pour la chancelière, «la demande doit venir du gouvernement britannique». «Je n'ai là ni de frein ni d'accélérateur», a-t-elle expliqué, faisant comprendre qu'elle n'était pas prête à faire pression sur Londres. Une position diamétralement opposée à celle du président du Parlement européen, Martin Schulz. Le social-démocrate allemand a expliqué lundi qu'il attendait la demande officielle des Britanniques dès ce mardi.
Cette volonté d'éviter l'emballement des discussions, la chancelière l'a aussi clairement exprimée par la voie de son porte-parole, Steffen Seibert. Face à la presse, celui-ci a ravalé lundi au rang de simple «apport à la discussion» le papier publié le matin même sur le site du ministère des Affaires étrangères. Intitulé «Pour une Europe forte dans un monde incertain», et conjointement signé par les ministres allemand et français, Frank-Walter Steinmeier et Jean-Marc Ayrault, le document ne propose rien de moins qu'un «approfondissement de l'intégration politique européenne» comme réponse au Brexit. Concédant qu'il existe des «niveaux d'ambition d'intégration différents» parmi les pays et donc qu'il peut y avoir une Europe à plusieurs vitesses, les deux ministres prônent une intégration plus poussée en matière de sécurité, une politique d'asile européenne et une convergence économico-budgétaire renforcée dans la zone euro, évoquant même un budget commun de l'union monétaire.
Lundi matin, le patron du SPD, Sigmar Gabriel, a aussi abondé en ce sens : «Nous avons près de 20 millions de chômeurs en Europe. On l'oublie parfois en Allemagne à cause de notre bonne situation économique. Nous avons sept ans de politique d'austérité derrière nous. Je trouverais cela préférable que nous formions un fonds de financement permettant de soutenir et récompenser les Etats membres via des aides à l'investissement dans l'infrastructure numérique, dans la recherche ou l'éducation», a expliqué celui qui rêve de battre Merkel en 2017.
Options. De tout cela, la chancelière ne veut pas ou pas encore. Mais pourquoi ? «Elle veut utiliser le report offert. Comme lors des crises de l'Euro et des réfugiés, l'Allemagne a pris son temps, et Cameron lui en donne», estime le quotidien Tagesspiegel. Merkel a toujours préféré poser toutes les options sur la table avant de décider. Lors de la crise des réfugiés, «la chancelière a sous-estimé la réaction négative des pays de l'Est qui lui ont fait amèrement payer cet oubli», estime un député conservateur allemand. De plus, l'opposition intérieure - les conservateurs bavarois et les populistes de l'AFD, contre tout renforcement des contrôles de Bruxelles sur les politiques budgétaire et migratoire du pays -, reste forte et électoralement dangereuse.
Enfin, il ne faut pas oublier l'économie allemande. Selon le quotidien Bild, un papier interne du ministère des Finances estime qu'il faudrait à tout prix que Londres garde un accès au marché intérieur européen, histoire de ne pas trop affecter les intérêts allemands, à commencer par ceux de l'industrie automobile. Au final, la chancelière a annoncé qu'elle ferait une déclaration de politique générale devant le Bundestag ce mardi matin, avant son départ pour Bruxelles. On pourra alors juger de la réelle force de persuasion de Hollande et Renzi.