Leurs deux mains sont jointes. Le vieux monsieur sourit au photographe, la jeune femme est grave. La photo, publiée par Lady Gaga sur son compte Instagram après sa rencontre avec le dalaï-lama, dimanche à Indianapolis, a déclenché un tir de barrage en Chine. Le leader spirituel y est considéré comme un traître séparatiste depuis qu’il a installé le gouvernement tibétain en exil à Dharamsala en 1959 après l’invasion chinoise.
La chanteuse américaine avait été invitée avec Tenzin Gyatso, 81 ans, lors de la conférence annuelle des maires américains, pour parler paix dans le monde et méditation, et avait ensuite posté la vidéo de cette rencontre sur Facebook. Dès lundi, des internautes se sont énervés de sa complicité avec le leader spirituel tibétain, sur le thème : «Pour les Chinois, c'est comme si vous étiez en train de serrer la main à Ben Laden.»
Bannie
Mardi, le porte-parole du ministère des Affaires étrangères chinois a fait état de cette «colère» populaire, expliquant que «le but des visites du dalaï-lama à l'étranger n'est qu'une manière de promouvoir l'indépendance du Tibet», que Pékin considère comme une province chinoise. D'après le journal indépendant et pro-démocratique hongkongais Apple Daily, la chanteuse a été mise sur la liste noire des artistes étrangers interdits et la totalité de son répertoire banni sur le continent chinois. Les médias ont reçu l'ordre de stopper la diffusion et le téléchargement de ses chansons, de ne pas mentionner sa rencontre avec le leader tibétain, et de se conformer aux informations diffusées par les médias officiels. Mais mardi soir, tous les clips de Lady Gaga étaient encore accessibles sur Youku, le Youtube chinois.
Ce genre de directives données aux médias sur tous les sujets sensibles, artistiques ou politiques, est courant en Chine. Et ce n'est pas la première fois que Lady Gaga se trouve dans le collimateur. En 2011, ses chansons avaient déjà été censurées et elle avait été citée par l'ancien président Hu Jintao lui-même comme exemple de l'invasion culturelle occidentale. Mais l'Américaine s'était pliée aux caprices des censeurs chinois, modifiant sa pochette pour que l'interdiction soit levée, ce dont elle s'était félicitée en janvier 2014.
Relire l'enquête de Philippe Grangereau: Lady Gaga, toc en Chine
L'an dernier, le groupe californien Maroon 5 avait vu ses deux dates en Chine annulées sans explication, après que l'un de ses membres avaient posté un tweet souhaitant un bon anniversaire au dalaï-lama. En 2009, le groupe britannique Oasis n'avait pu se produire après la participation de Noel Gallagher à un concert pour le Tibet libre à New York. Difficile d'imaginer que Lady Gaga n'avait pas anticipé la réaction de Pékin, dimanche, en s'affichant avec l'un des pires ennemis du parti communiste chinois. D'autant qu'elle avait twitté dès le 22 juin son projet de discussion avec le dalaï-lama, déclenchant une salve de protestations de ses fans, et des avertissements : «Ne faites pas ça, vous ne pourrez pas venir en Chine. Les "petits monstres" (nom donnés aux fans de Gaga, ndlr) chinois vous aiment tant, pensez à nous!»