Des trois attentats qui ont frappé Istanbul depuis le début de l’année, celui de mardi à l’aéroport Atatürk est de loin le plus meurtrier. Au moins 41 personnes ont été tuées et 239 blessées. Non revendiquée mercredi, l’attaque-suicide a été attribuée à l’Etat islamique (EI) par le Premier ministre, Binali Yildirim.
La Turquie paie-t-elle sa politique vis-à-vis de l’Etat islamique ?
Depuis trois ans, l’opposition turque, en particulier les partis kurdes, accuse Ankara de soutenir l’EI. Plusieurs médias ont publié les noms et photos de jihadistes soignés dans des hôpitaux privés d’Antakya et de Gaziantep (Sud). Et des camions des services de renseignements turcs ont été repérés alors qu’ils transportaient des armes pour l’EI en Syrie. Jusqu’en 2014, la frontière turco-syrienne était si facilement franchissable qu’elle avait gagné le surnom «d’autoroute du jihad».
En réalité, la Turquie ne considère pas l’EI comme la principale menace contre son territoire. Aux yeux du président Recep Tayyip Erdogan, l’ennemi numéro 1 reste le PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) et son dérivé syrien, le PYD (Parti de l’union démocratique). Celui-ci a peu à peu acquis une autonomie de fait dans le nord de la Syrie grâce à un accord tacite avec le régime de Bachar al-Assad. Il tente depuis d’unifier le Rojava, ces territoires à majorité kurde qui longent la frontière turque, en combattant l’EI. Mais Erdogan est résolument opposé à la création de cette zone, craignant qu’elle ne soit utilisée par le PKK pour frapper en Turquie. Après trois ans de trêve, les affrontements entre forces de sécurité turques et combattants kurdes ont repris à l’été 2015. En représailles, les Faucons de la liberté du Kurdistan, une émanation du PKK, ont revendiqué plusieurs attentats contre des policiers ou des soldats turcs depuis le début de l’année.
Dans le même temps, à la suite des pressions occidentales, la position d’Ankara vis-à-vis de l’EI a évolué. La frontière avec la Syrie est désormais bloquée. Les militaires turcs n’hésitent pas à tirer à vue sur ceux qui tentent de la franchir, y compris sur des civils qui fuient les combats et les raids aériens dans la région d’Alep. Ankara a aussi fait bombarder plusieurs fois ces derniers mois des positions de l’EI dans le nord de la Syrie pour permettre aux rebelles de l’Armée syrienne libre de progresser. Mercredi, l’aviation turque a frappé plusieurs positions de l’EI en Syrie. Mais elle a aussi visé le PKK dans le nord de l’Irak.
L’EI a-t-il changé de stratégie en attaquant la Turquie ?
Non. Il a organisé plusieurs attentats sur le sol turc ces deux dernières années. D’abord en visant les Kurdes, comme à Suruç, le 20 juillet 2015, dans un attentat à la bombe qui avait fait 34 morts. Et depuis le début de l’année, en s’attaquant deux fois déjà au centre d’Istanbul. En janvier (12 touristes allemands tués), et en mars (4 touristes tués). L’EI n’a jamais revendiqué ces attaques, probablement pour ne pas entrer en guerre ouverte avec la Turquie. Mais l’attentat de mardi est d’une ampleur inédite. Il ne s’agit plus de kamikazes seuls qui se font exploser dans une rue mais de trois assaillants armés et ceinturés d’explosifs qui agissent de manière coordonnée dans un aéroport protégé, à l’image de ceux qui ont attaqué celui de Zaventem, à Bruxelles, le 22 mars.
Jamais, depuis la création de son «califat» il y a deux ans, l’EI n’a été autant menacé dans ses territoires en Irak et en Syrie. Il vient de perdre Fallouja, repris par les forces irakiennes. La ville de Manbij, en Syrie, est attaquée depuis plus d’un mois par les forces kurdes alliées à des brigades arabes. Fragilisé dans ses fiefs et en guerre avec le reste du monde, l’EI a tout intérêt à frapper hors de ses frontières.
La dérive autoritaire turque va-t-elle s’accentuer ?
C'est probable. Depuis plusieurs mois, toute opposition au pouvoir est assimilée à de la «propagande terroriste». La pression n'a cessé de croître sur la société civile. Journalistes, avocats, syndicalistes, intellectuels et groupes LGBT qui contestent la politique d'Erdogan sont arrêtés, jugés, et souvent emprisonnés. De plus en plus nationaliste, le président turc tente d'attirer les électeurs du parti d'extrême droite, le MHP, les «Loups Gris», qui soutient notamment les opérations de «nettoyage» menées dans les régions kurdes.