Une fois de plus, un aéroport. Et encore les mêmes questions. Comment améliorer la sûreté dans ces lieux déjà placés sous haute surveillance mais qui font partie des objectifs privilégiés des terroristes, certains de provoquer un séisme médiatique international, de plomber l’économie touristique des pays ciblés et de provoquer un traumatisme durable au sein des populations visées ?
A l'aéroport international d'Istanbul-Atatürk, ce sont au moins 41 personnes qui ont été tuées et 239 blessées mardi soir dans un triple attentat-suicide, selon le dernier bilan provisoire. Parmi les victimes, treize étrangers, dont cinq Saoudiens, deux Irakiens, un Tunisien, un Ouzbek, un Chinois, un Iranien, un Ukrainien et un Jordanien. Deux Français seraient légèrement blessés, a déclaré l'Elysée. A l'origine du massacre, trois assaillants qui ont mitraillé des passagers ainsi que des policiers en faction, puis qui se sont fait sauter en déclenchant leur ceinture explosive. Des «kamikazes», selon Vasip Sahin, le gouverneur d'Istanbul. En réalité des Inghimasi, selon une terminologie utilisée par Daech. Des commandos jusqu'au-boutistes à la fois combattants, car équipés de kalachnikovs, et martyrs, car prêts à se faire exploser au milieu d'une foule. En France, ce mode opératoire est apparu pour la première fois lors de l'attaque du Bataclan. Et semble particulièrement bien adapté pour déborder les mesures de sûreté des aéroports.
Portiques
Ces derniers sont divisés en deux zones : la partie publique, avant l’enregistrement et en général ouverte à tous. Et la zone réservée aux voyageurs, accessible après passages des portiques et autres appareils de détection. Après les attentats-suicides à l’aéroport de Bruxelles le 22 mars, la question d’élargir la zone de sécurité à l’ensemble des bâtiments, hall compris, avait été posée. Deux terroristes s’étaient fait exploser dans le hall de l’aéroport, situé à Zaventem, en Flandre. L’un des deux avait actionné le détonateur près du guichet de Brussels Airlines et l’autre près de celui d’American Airlines. Les bombes étaient placées dans des valises, elles-mêmes posées sur des chariots. Les kamikazes étaient entrés sans encombre dans le terminal. Au total, 32 morts - y compris ceux de l’attentat dans le métro bruxellois, provoqué deux heures après.
A Istanbul, les mesures de sûreté sont pourtant plus drastiques. Comme c'est déjà le cas dans quelques aéroports internationaux, les entrées du terminal sont également soumises à un contrôle, avec portiques et présence policière. C'est à l'extérieur du bâtiment, en amont de ces contrôles, que l'assaut a été donné. Et au moins un des assaillants a réussi à pénétrer dans le hall. Ce qui illustre les limites d'un système visant à élargir les zones de sécurité. «Protéger un système de transport public sans qu'il y ait d'incidence significative sur les flux de circulation est extrêmement difficile, écrit sur son site Michael Maness, ancien officier du contre-terrorisme à la CIA et aujourd'hui à la tête d'une entreprise de sécurité, TrapWire. Les mesures actuelles mises en place dans la plupart des aéroports, et destinées presque exclusivement à empêcher les passagers d'introduire une arme sur un vol, sont peu efficaces pour empêcher une attaque contre des personnes qui attendent dans un hall bondé, où le nombre de victimes pourrait être tout aussi élevé.» Et de conclure sur une note inquiétante : «Avec la saison estivale qui débute à peine, les longues files aux comptoirs d'enregistrement ou aux points de contrôle sont des cibles faciles.»
Mais «il est difficile d'aller plus loin, expliquait le service de communication de Roissy - Charles-de-Gaulle après les attentats belges du printemps. On est au niveau maximal depuis tellement longtemps». Le gouvernement n'a pas réclamé pour l'instant d'étendre les portiques aux entrées des terminaux français, et notamment des deux franciliens qui accueillent chaque année 91 millions de passagers, qu'ils soient au départ, à l'arrivée ou en transit.
Mesure inutile
La question des files d'attente qui se forment aux points de contrôle a cependant été soulevée à plusieurs reprises. «Mettre en place des points de contrôle aux entrées des terminaux ne fait que repousser le problème de 40 mètres», nous explique un porte-parole de Paris Aéroport (ex-ADP, le groupe aéroportuaire qui exploite notamment Orly et Roissy - Charles-de-Gaulle). Lorsqu'il a été décidé de mettre en place des portiques de sécurité à l'entrée des Thalys, en Gare du Nord et à Lille, après les attentats de novembre, plusieurs voix se sont élevées pour dénoncer l'inutilité d'une telle mesure. «Ça ne réduit sans doute pas le risque de manière significative, nous expliquait en mars François Bonhomme, sénateur LR à la tête d'une mission d'information sur la sécurité des réseaux terrestres face à la menace d'attentat. Des terroristes peuvent se faire exploser dans la file d'attente que ces portiques occasionnent en période d'affluence. C'est ce qui s'est passé dans l'attentat de Volgograd en Russie.» Le 29 décembre 2013, une femme s'était fait exploser dans la gare centrale de la ville, tuant 17 personnes et blessant une quarantaine d'autres. L'attentat-suicide avait eu lieu devant la gare ferroviaire, à proximité des détecteurs de métaux installés à l'entrée.
«Profileurs»
Que faire ? «Il est très difficile d'avoir une capacité d'arrêt sur des personnes qui sont prêtes à mourir avec leur engin explosif», affirme Sébastien Caron, directeur d'ASCT International, société spécialisée dans le conseil et la formation d'agents de sûreté aéroportuaire. «Aujourd'hui, la sûreté est poussée à son maximum. Mais tout système est vulnérable. Si on veut les rendre plus performants, il faudrait faire venir les passagers dix heures avant le vol ! Le but est de trouver le juste milieu, avec un système qu'on adapte rapidement après de nouvelles menaces détectées.»
Paris Aéroport rappelle les mesures déjà appliquées : 5 000 agents de sécurité aéroportuaires sont aujourd'hui déployés, en plus des policiers et des militaires en patrouille dans les zones publiques, ou bien des gendarmes des transports aériens (GTA) qui circulent au-delà des zones de contrôle, sur les tarmacs ou parmi les passagers enregistrés. A Roissy, 1 650 policiers aux frontières, 194 gendarmes et environ 120 militaires de Vigipirate sont en charge de la sûreté du deuxième plus gros aéroport d'Europe, après Heathrow (Londres) et avant… Atatürk. Paris Aéroport emploie aussi des profileurs qui scrutent la foule, à l'affût de comportements suspects. Enfin, un système de reconnaissance faciale associé aux caméras de vidéosurveillance sera testé «dans les semaines à venir», affirme le porte-parole. Des caméras qui sont passées, pour les deux aéroports parisiens, d'un millier en 2001 à 9 000 l'an dernier.