C'est le genre d'incident que redoutent diplomates et militaires dans une région sur les dents et en pleine surenchère sécuritaire. La marine taïwanaise a annoncé ce vendredi matin avoir tiré, apparemment par mégarde (vidéo), un missile sol-mer depuis un navire de la classe Ching Chiang, un patrouilleur lance-missiles, qui était positionné près de la base navale de Zuoying, dans le sud-ouest de l'île.
L'engin s'est abîmé en mer près de l'île de Penghu – contrôlée par Taipei – et n'a fait aucune victime. Lors d'une conférence de presse organisée deux heures après le tir, le vice-amiral Mei Chia-hsu a indiqué que le missile «avait été tiré à la suite d'une erreur de manipulation. Nous avons ouvert une enquête». Une inspection à bord du Chin Chiang était en cours quand le lancement a été déclenché. Les autorités taïwanaises ont envoyé des hélicoptères et des navires pour récupérer les débris.
Ce vendredi matin, il n'était pas possible de savoir si les Chinois avaient été informés, puisque l'engin s'est dirigé vers le continent et la province de Fujian. Il s'agit d'un Hsiung Feng III («vent courageux»), un «tueur de porte-avions» supersonique mis en service en 2007, qui a une portée de 300 kilomètres.
Jour anniversaire du PC chinois
C’est l’un des nombreux missiles développés par l’institut national des sciences et de la technologie Chung-Shan qui, depuis les années 80, a développé un programme balistique pour parer à toute menace de la Chine. Taipei est en conflit avec Pékin depuis 1949 et la victoire des communistes contre les nationalistes de Tchang Kaï-chek, qui se sont réfugiés sur l’île pour créer la République de Chine. Depuis, les continentaux considèrent Taiwan comme une province renégate qui doit être réunifiée.
Hasard du calendrier ? Ce tir accidentel intervient le jour anniversaire de la fondation du parti communiste chinois, qui a 95 ans. Surtout, la gaffe a lieu alors que la nouvelle présidente, Tsai Ing-wen, est en visite officielle en Amérique centrale et latine et que les relations avec le continent se sont très franchement dégradées.
Depuis l'arrivée au pouvoir de la première femme présidente dans le monde chinois, Pékin n'a cessé de mettre la pression contre l'ex-présidente du Parti démocratique progressiste (PDP), un mouvement aux prises de position indépendantistes. Après huit années de rapprochement sous la présidence de Ma Ying-jeou, qui dirigeait le Kuomintang, la Chine redoute des actions sécessionnistes du PDP. Et souhaite que Taipei endosse le consensus de 1992, un accord très ambigu qui stipule qu'il n'y a qu'«une seule Chine», avec des interprétations différentes pour chacune des deux parties. Jadis négociatrice tenace et universitaire réputée, Tsai Ing-wen s'est bien gardée d'entériner ce consensus qui «pourrait devenir un réel motif de crise entre Taipei et Pékin», notait un diplomate en janvier. La semaine dernière, Pékin a donc fait savoir que le «mécanisme de communication bilatéral avait été suspendu». Ce qui n'a pas été confirmé côté taïwanais.
Tir de missiles chinois en 1996
Lors de son investiture, le 20 mai, la nouvelle présidente affirmait que «les deux parties gouvernantes sur les deux rives du détroit [de Formose] doivent laisser de côté le poids de l'histoire. Nous allons travailler pour maintenir la paix et la stabilité dans les relations interdétroit».
Mais depuis, des déclarations et des actions de part et d'autre du détroit ont notablement refroidi les relations. Le jour anniversaire du massacre de Tiananmen, le 4 juin, le Parlement taïwanais a officiellement, et pour la première fois, commémoré l'événement de 1989. La présidente elle-même a écrit sur son compte Facebook qu'il n'y «avait rien d'effrayant dans la démocratie», évoquant le soutien reçu de Chinois, de gens de Hongkong et de Macau lors de la campagne présidentielle de l'hiver dernier. En mai, alors que Tsai se préparait à prendre ses fonctions, Pékin avait organisé de gigantesques exercices militaires dans la province de Fujian, juste en face de Taïwan.
Il y a vingt ans, les deux rives du détroit avaient vécu une crise extrêmement tendue. Pékin avait tiré plusieurs salves de missiles dans les eaux territoriales taïwanaises alors que le gouvernement de Lee Teng-hui multipliait les déclarations pro-démocratiques et que le pays s'apprêtait à voter. Allié de Taïwan, les Etats-Unis avaient alors dépêché une partie de sa flotte dans les eaux de la mer de Chine. Une zone où aujourd'hui les tensions ne cessent de croître entre la Chine et tous ses voisins.