Et s'il était le seul des éléphants à avoir barri contre son camp ? Historiquement, l'environnement est une affaire «peu sérieuse» pour le PS : la nature, c'est bien joli, mais c'est l'homme, l'ouvrier, l'usine, qu'il faut défendre. Ce logiciel de la gauche productiviste fut aussi celui de Michel Rocard. Mais à la différence de ses pairs, l'ambassadeur de France pour les pôles Arctique et Antarctique sut s'en écarter voilà trente ans : la nature, c'est l'homme et réciproquement. «Le réchauffement climatique est pour l'humanité une interdiction de continuer à fonctionner sur le plan énergétique comme elle le fait jusqu'ici», disait-il encore à Libération en 2013. «Il avait intégré le logiciel du XXIe siècle et pris en compte l'état de la planète», loue Nicolas Hulot. Pour Delphine Batho, ancienne ministre de l'Ecologie,«il avait la conscience des enjeux et la radicalité d'un jeune homme».
Le déclic écologique date peut-être de sa rencontre avec le glaciologue Claude Lorius, à la fin des années 80, quand il négocie le traité sur l'Antarctique. «Celui-ci doit beaucoup à Michel Rocard», témoigne le climatologue Jean Jouzel. En 2009, il préside la conférence d'experts sur la contribution climat-énergie, la fameuse taxe carbone, qui naîtra sous François Hollande, en 2014. L'ex-ministre de l'Ecologie Philippe Martin se souvient d'un déjeuner en tête à tête : «J'étais bluffé par l'énergie qu'il mettait à me convaincre que ma seule mission était de parvenir à faire basculer la fiscalité du travail vers la fiscalité écologique.»
Transgressif, Michel Rocard l'était… jusqu'à un certain point. Fils d'Yves Rocard, le père de la bombe atomique française, il était un ardent défenseur du nucléaire civil. «Il n'imaginait pas trop la possibilité d'un accident, mais on pouvait parler», témoigne Corinne Lepage, autre ex-ministre de l'Environnement. Plus étonnant : sa position en faveur du gaz de schiste, guère cohérente avec ses convictions sur le climat. «Il aurait pu évoluer sur ce sujet, il ne restait pas campé sur ses positions. Il savait que ce n'était pas se déjuger que de changer d'avis», confie Nicolas Hulot. Fin 2015, à l'ouverture de la COP 21, il lâche sur Europe 1 le constat qui fut sans doute le moteur de son engagement à contre-courant des barons socialistes : «Je suis quinze fois grand-père et j'ai un peu honte que ma génération laisse aux suivantes un monde en bien plus mauvais état qu'il ne l'était quand il m'a fait l'honneur de m'accueillir.»
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