Au moment où John Chilcot présentait à Londres les conclusions du rapport sur l'engagement du Royaume-Uni dans la guerre en Irak de 2003, à Bagdad des milliers de manifestants en colère se dirigeaient vers la «zone verte» abritant les bâtiments gouvernementaux. Trois jours après l'effroyable attentat du quartier de Karrada qui a coûté la vie à 250 civils (lire Libération de mardi), les Irakiens protestaient non pas contre les terroristes de l'Etat islamique, qui a revendiqué l'attaque, mais contre l'échec des autorités et des services de l'Etat à garantir leur sécurité.
«Au nom de la démocratie»
Parmi les nombreux responsables des malheurs qui se sont accumulés pour eux depuis 2003, l'ancien Premier ministre britannique Tony Blair ne tient qu'un rôle de figurant aux yeux des Irakiens. Mais la publication du rapport Chilcot (lire ci-dessous) a été l'occasion de rappeler comment s'est ouverte la boîte de Pandore. «On avait oublié l'histoire des armes de destruction massive qui n'ont finalement jamais été trouvées, mais on se souvient avec ironie, tous les jours depuis treize ans, que c'est au nom de l'instauration de la démocratie que Saddam Hussein a été renversé», dit Abou Ahmad, joint par téléphone à Bagdad. A 72 ans, l'ancien militant communiste, qui a fait plusieurs séjours en prison entre 1970 et 1990, refuse de regretter la dictature. «Mais je suis bien seul, reconnaît-t-il, et je passe mon temps à m'engueuler avec mes fils, mes amis et mes voisins qui ne cessent de dire combien l'Irak allait mieux avant.» Depuis que le chaos, le terrorisme et la corruption se sont emparés du pays pendant les années de l'occupation américaine et après le retrait mal négocié des troupes de Washington, en 2010, les nostalgiques du régime totalitaire se manifestent de plus en plus.
L'une des vedettes du «Saddam blues», retrouvée et interviewée par les médias britanniques ces derniers jours à l'occasion de la publication du rapport Chilcot, est un certain Kadhim Hassan al-Jabouri. Opposant chiite de 58 ans, le mécanicien était descendu marteau à la main, le 9 avril 2003, sur la place Fardos de Bagdad, pour participer à la destruction de la statue géante de Saddam Hussein que les marines américains avaient aidé à abattre devant les caméras du monde entier. «Je regrette d'avoir frappé cette statue. Aujourd'hui, je voudrais que Saddam revienne, même s'il a ordonné l'exécution de plusieurs membres de ma famille», a-t-il déclaré au correspondant de l'agence Reuters. Kadhim Hassan al-Jabouri a perdu une dizaine de ses proches dans la répression organisée par les services du dictateur. «Il reste encore préférable aux politiciens et aux hommes de religion qui ont conduit le pays à ce qu'il est devenu aujourd'hui. On se retrouve maintenant avec mille Saddam !»
Après treize ans de phases successives d’occupation armée, de violences aveugles et de gouvernance déliquescente, les Irakiens rêvent désormais d’ordre, de sécurité et de stabilité, même imposés par la force et la répression.
«Ils confondent tout»
L’administration américaine, qui avait pris en main le pays au lendemain de la guerre de 2003, a tenu à démembrer toutes les structures et les services du pouvoir : armée, police, administration, dans un mouvement dit de «débaasification».
En cherchant à rétablir l'équilibre entre la minorité sunnite qui accaparait le pouvoir sous Saddam Hussein et la majorité chiite, l'armée a aussi ouvert la voie à des dirigeants sectaires, revanchards et corrompus. Exclus du système, beaucoup de sunnites sont tombés sous la coupe des terroristes d'Al-Qaeda en Irak, devenu depuis l'Etat islamique. «Ceux qui expriment aujourd'hui du regret pour Saddam confondent tout, observe Abou Ahmad. Ce n'est pas la chute de la dictature qui a conduit à tous nos malheurs, mais la façon dont a été gérée la suite. Les ingérences des Américains, puis des Iraniens, dans les affaires intérieures ont abouti notamment à soutenir les politiciens les plus incompétents et corrompus.»
Les Irakiens nostalgiques de Saddam se sentent-ils mieux compris par le candidat républicain à la Maison Blanche ? Donald Trump a en effet déclaré mardi, lors d'un meeting : «Les Etats-Unis n'auraient pas dû déstabiliser l'Irak. […] Saddam Hussein était un type mauvais, réellement mauvais. Mais savez-vous ce qu'il a fait de bien ? Il a tué des terroristes. Il le faisait si bien… Il ne leur parlait pas. C'étaient des terroristes, c'était fini.»