José Manuel Barroso a-t-il fait preuve d'honnêteté et de délicatesse en acceptant son nouveau poste de conseiller de Goldman Sachs ? En mai 2010, l'alors président tout neuf de la Commission a prêté serment devant la Cour de justice de l'Union européenne. Il s'est engagé à respecter «les devoirs d'honnêteté et de délicatesse quant à l'acceptation, après cette cessation, de certaines fonctions ou de certains avantages». Le comportement des commissaires, et leur avenir, est encadré par l'article 245 du traité de fonctionnement de l'UE, qui stipule que «les membres de la Commission s'abstiennent de tout acte incompatible avec le caractère de leurs fonctions» pendant leur mandat ou après. Un manquement peut entraîner la levée de la pension d'un ancien commissaire - qui peut être perçue à partir de 65 ans - ou «d'autres avantages en tenant lieu».
«Effet portes tambours»
Adopté en 2011, le code de conduite des commissaires précise que, pendant les dix-huit mois suivant leur fin de mandat, ceux-ci doivent informer l'actuelle commission de leurs velléités professionnelles. Qui peut, si elle le juge utile, demander l'avis du comité d'éthique ad hoc. De même, pendant cette durée, les anciens commissaires doivent s'abstenir de «faire pression et de défendre la cause de leur employeur» auprès de la Commission sur les affaires qu'ils ont eu à traiter. Ce délai est écoulé depuis avril pour les commissaires de Barroso, son successeur, Jean-Claude Juncker, ayant pris ses fonctions en octobre 2014.
L'association Corporate Europe Observatory (CEO) s'est penchée sur les nouveaux boulots des commissaires depuis la fin de leur mandat, s'inquiétant de l'effet «portes tambours» entre public et privé, qui n'est, selon elle, «qu'un des symptômes de la symbiose perverse qui existe entre les grandes entreprises et les autorités européennes». Entre octobre 2014 et avril 2016, la Commission Juncker aurait étudié plus d'une centaine de demandes d'anciens commissaires de Barroso - le président en est le champion, 22 soumises en vingt mois, pour des postes en tout genre. Toutes ont été validées. Parmi elles, une quarantaine sont passées avec l'aval du comité d'éthique. A trois occasions, des commissaires – la Chypriote Androulla Vassiliou (Education, Culture, Jeunesse) par deux fois et la Danoise Connie Hedegaard (Climat) – ont retiré leur requête après avoir été averties par le comité d'éthique qu'il pourrait y avoir un risque de conflits d'intérêt. Fin 2015, CEO estimait qu'au moins huit transferts auraient dû être refusés.
Depuis qu'ils ont passé le délai des dix-huit mois après la fin de leur mandat, plusieurs commissaires ont pu accéder à de nouveaux postes sans avoir besoin de l'accord de la Commission. Neelie Kroes, ancienne vice-présidente de Barroso et responsable de l'agenda numérique européen, est par exemple devenue conseillère d'Uber sur les questions de politiques publiques. Elle avait auparavant obtenu le feu vert de la Commission pour être conseillère de Bank of America-Merrill Lynch. Le Belge Karel De Gucht, qui avait le portefeuille du Commerce, est de son côté devenu directeur d'ArcelorMittal.
Transparence
En 2011, une étude commandée par le Parlement européen s'inquiétait de la persistance du manque de transparence dans la validation des transferts. Elle recommande de définir plus clairement les critères permettant de prendre ces décisions. L'étude suggère aussi d'étendre à deux ans la durée pendant laquelle les nouvelles fonctions des anciens commissaires doivent être visées par la Commission, une proposition partagée par Transparency International. L'ONG souhaite également que les décisions concernant les ex-commissaires ne soient pas prises par leurs successeurs, mais par une structure indépendante.
Après l'annonce du transfert de Barroso, CEO estime qu'il faudrait aller jusqu'à un délai de cinq ans pour les anciens présidents de l'exécutif de l'UE. «La réponse de la Commission européenne a été pathétique», condamne-t-elle. Le code de conduite dit que «même à l'expiration de la période de dix-huit mois après la cessation des fonctions, le commissaire doit s'assurer que l'acceptation de nouveaux postes se fait "sans préjudice des devoirs d'honnêteté et de délicatesse"». Il revient au Conseil ou à la Commission de saisir la Cour de justice de l'UE si l'un ou l'autre estime que ce n'est pas le cas. Pour l'heure, rien ne semble prévu pour José Manuel Barroso.