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Libération

Trucages et astuces de la banque d’affaires dans le dossier grec

L’établissement n’avait pas hésité à spéculer contre Athènes lors de la crise, dix ans après avoir bidonné ses comptes publics.
Le siège de Goldman Sachs, à New York, en 2010. (Photo Chris Hondros. AFP)
publié le 11 juillet 2016 à 20h11

Goldman Sachs ou l’art de jouer double jeu et de gagner à tous les coups. D’abord comme banque conseil pousse-au-crime. Ensuite comme banque de marché qui en profite. Les tripatouillages financiers réalisés en Grèce, avant et après son entrée dans la zone euro en 2001, illustrent à merveille cette stratégie.

Manip

Entre la Grèce et la banque américaine, tout commence au tout début du millénaire. Il s’agit pour le pays, comme d’autres candidats à la future monnaie unique, d’afficher des comptes publics en ligne avec les fameux critères de convergences de Maastricht, ces seuils prérequis pour rejoindre la zone euro en 2001 (déficit public inférieur à 3 % et dette publique inférieure à 60 % du PIB). Pour présenter des comptes publics irréprochables, le gouvernement socialiste de Costas Simitis s’attache alors les services de Goldman Sachs pour l’aider à réduire le service de sa dette, ses intérêts. Pourquoi refuser pareil mandat si rémunérateur - environ 600 millions d’euros -, même s’il s’agit dans les faits d’enjoliver les comptes publics afin de dissimuler l’ampleur de ces déficits ? Pour réduire le service de la dette grecque, qui creuse d’autant le déficit public, la banque de Wall Street met au point, avec la «bénédiction» du gouvernement, un mécanisme financier qui échappe alors aux contrôles européens. La manœuvre s’avère simple. Pour être élu dans le club de la monnaie unique, la Commission européenne a alors les yeux rivés sur le déficit public. Qu’à cela ne tienne. Goldman Sachs va faire baisser la pression du déficit public de l’année prise en compte (1998) pour qualifier la Grèce dans l’euro (2001) grâce à une «créative» opération de «swap sur devises». Baptisés Eole (le dieu du vent), celle-ci a été opérée sur la base d’un taux de change artificiel qui permet au pays de recevoir encore plus d’argent frais via la levée de capitaux sur les marchés financiers internationaux. De l’argent qu’elle remboursera - en principe - plus tard… avec ses futures recettes de taxes d’aéroports, de loterie nationale, etc. Une façon de préempter les recettes futures des caisses de l’Etat.

In fine, grâce à la manip «swap sur devises», la Grèce «sort» 2,8 milliards d’euros de dette de ses comptes publics. Athènes peut alors continuer à s’endetter sur les marchés financiers. Et vivre au-dessus de ses moyens. Mais voilà, le bidouillage financier est démasqué en mars 2004, lorsque la droite succède aux socialistes et que le pays éprouve les plus grandes difficultés à continuer à s’endetter. Tout le monde découvre alors que les dés sont pipés. En regardant dans le rétroviseur des comptes publics de 1998 (année de référence, rappelons-nous), le déficit public de la Grèce était en réalité de 4,3 % du PIB. Et non de 2,5 %…

La situation va se tendre encore plus quelques années plus tard, lorsque le gouvernement grec va se persuader (à raison), que Goldman Sachs participe à une attaque spéculative contre Athènes. Car depuis 2009, la banque d’affaire vend des bons du Trésor grec à terme. Elle ne possède pas ces titres, mais parie qu’au moment où il faudra effectivement les livrer à ses clients-acheteurs, ils coûteront moins cher que le prix convenu au départ. Elle est convaincue que d’autres investisseurs internationaux se seront entre-temps débarrassés de ce papier grec. Persuadés que la situation économique du pays deviendra intenable. Une mécanique qui alimente la baisse le prix des obligations souveraines.

Catimini

La cuisine financière de Goldman Sachs va faire preuve d’encore plus d’imagination. Alors qu’elle continue de conseiller Athènes, la banque se gave en catimini de Credit Default Swap (CDS). Ces fameux produits dérivés qui permettent à tout investisseur de se protéger si un émetteur d’obligations ne rembourse pas sa dette. En 2009, la banque américaine achète des CDS sur la dette grecque dont le prix est monté jusqu’à 420 points de base en février 2010. Au plus fort de la crise financière, Goldman Sachs peut revendre ses CDS 420 000 euros pour assurer des centaines de tranches de 10 millions de dette souveraine hellène ! Elle les avait payés 100 000 euros six mois plus tôt. Singulière façon de considérer les intérêts de son client…

DROIT DE RÉPONSE DE GOLDMAN SACHS INTERNATIONAL (11/08/2016)

« Dans un article paru dans votre édition en date du 11 juillet 2016, intitulé "Trucages et astuces de la banque d'afaires dans le dossier grec", votre journal revient sur l'implication de notre établissement dans la gestion de la dette publique grecque depuis 2000.

Il reprend des affirmations factuellement incorrectes et qui ont déjà donné lieu à droit de réponse par nos soins suite à leur publication dans d'autres colonnes. Ces affirmations nuisent gravement à la réputation de notre institution et nous vous demandons donc de bien vouloir faire publier le présent droit de réponse dans votre prochaine édition.

Les faits sont connus et ont fait l'objet de mises au point disponibles sur notre site Internet :

• Au sujet des swaps sur devises, votre article omet de rappeler que leur mise en place visait à l'origine à couvrir des opérations usuelles d'émission de dette en devises internationales (notamment Yens et dollars US) pour protéger la Grèce des fluctuations de ces devises par rapport à l'EURO et qu'ils n'ont donné lieu à des restructurations avec Goldman Sachs que dans un deuxième temps en décembre 2000 et juin 2001 ;

• Vous indiquez que l'objectif des pouvoirs publics grecs était "d'afficher des comptes  publics en ligne avec les fameux critères de convergence de Maastricht", alors que, l'impact de ces transactions portait principalement sur le ratio de dette publique rapportée au PIB - passant de 105,3% à 103,7% soit des niveaux nettement supérieurs au seuil des 60% - et qu'elles n'ont eu qu'un impact insignifiant sur les ratios de déficit public contrairement à ce que suggère votre article ;

• Votre article indique que ces opérations ont permis de "qualifier la Grèce dans l'euro", alors que la chronologie rappelée ci-dessus établit clairement qu'elles ont eu lieu après la décision du Conseil des Ministres européens de juin 2000 approuvant l'entrée de la Grèce dans la zone EURO ;

• Vous parlez d'un "méccanisme financier qui échappe alors aux contrôles européens" ; or Eurostat, l'agence en charge des statistiques européennes, avait été consultée à l'époque pour confirmer le caractère approprié du traitelment comptable de ces opérations, auxquels d'autres pays européens - dont l'Allemagne, l'Italie, la Belgique ou la Pologne - ont par ailleurs eu recours par le passé avec d'autres grands établissements financiers ;

• Enfin, et sans citer la moindre source, vous évoquez une "attaque spéculative" à laquelle Goldman Sachs aurait participé contre la dette grecque à partir de 2009, ce que nous sommes en position de démentir formellement et catégoriquement ; en outre, et contrairement à ce que vous suggérez, nous n'intervenions pas comme banque conseil du gouvernement grec durant cette période. »