Avec sa grande silhouette, et sa manière toujours élégante de vous répondre, Michel Kazatchkine – longtemps directeur du Fonds mondial contre le sida et aujourd’hui envoyé spécial sur le sida pour l’ONU dans les pays de l’Europe de l’Est et de l’Asie centrale –, est une figure de la lutte contre le sida dans le monde. Et bien sûr il se trouve à Durban à la conférence internationale sur le sida. Joint par Libération ce lundi matin avant l’ouverture officielle, il a fait le point sur les enjeux présents.
Mauvais bilan pour l’Europe de l’Est
«Ce congrès va naviguer entre deux sentiments, nous dit-il. Evidemment, on va se féliciter de ce qui s'est passé depuis le dernier congrès de 2000 qui se tenait déjà à Durban, car c'est vrai aujourd'hui plus de 17 millions de personnes sous traitements [contre 1 million en 2000, ndlr], et c'est un magnifique résultat que peu de personnes auraient pu imaginer. Mais en même temps, on le sait, on le voit, les contaminations continuent chez adultes. Et surtout, il y a la situation inquiétante en Europe de l'Est».
Depuis 4 ans, Michel Kazatchkine a pris son bâton de pèlerin. Il se démène, parcourt ces pays, tente de réveiller les politiques. Car le bilan est mauvais, et ces dernières années nous avons même assisté à une hausse de 60% des cas dans les pays de l'Est. «C'est une épidémie qui non seulement continue, mais qui progresse», s'alarme Michel Kazatchkine. «En 2016, on s'attend à plus de 100 000 nouveaux cas dans la Fédération de Russie. C'est une épidémie qui se développe fortement chez les usagers de drogues intraveineuses, qui constituent plus de la moitié des nouveaux cas. Et quand on évoque la contamination chez les hétérosexuels, pour la plupart ce sont des partenaires des groupes à risque».
Failles béantes
Une épidémie d'autant plus choquante que l'on a tous les moyens de la bloquer, avec les outils de la réduction des risques, comme les politiques d'échanges de seringues ou de prescription de produits de substitution. «Or en Europe de l'Est, la prévention primaire est restreinte et la politique de réduction des risques souvent inexistante. Enfin, ajoute Michel Kazatchkine, il y a des failles béantes dans l'accès aux traitements: à peine 18% des malades y ont accès». Un taux très largement inférieur à celui de la plupart des pays africains. «Et l'avenir est fragile», poursuit ce responsable, car «sur la question clé des financements, pour la plupart ce sont des pays à revenus intermédiaires. Or le Fonds mondial va arrêter de les subventionner. Qui va payer, alors?»
Michel Kazatckine est inquiet. «Ce matin, j'avais parfois le sentiment de repartir à zéro, j'entendais l'histoire de ce militant du Kenya des droits de l'homme, battu à mort pour son action contre la discrimination". Se sent-il fatigué, voire lassé de ce long combat qu'il mène maintenant depuis près de 30 ans? "On a le sentiment parfois d'une entreprise à la Sisyphe. Mais en même temps, ici, à Durban, il y a une telle jeunesse, une telle envie de vivre…»