Après six mois de travaux et l'audition d'une soixantaine de personnes ainsi que des déplacements aux Etats-Unis, en Belgique, aux Pays-Bas, en Suisse, en Turquie et en Arabie Saoudite, la mission d'information sur les moyens de Daech a remis son rapport, mercredi 20 juillet, au président de l'Assemblée nationale, Claude Bartolone.
1) «Les Etats européens ne participent pas au financement de Daech»
La possibilité que des Etats européens, a fortiori la France, aient pu indirectement financer l’organisation est l’une des raisons qui ont poussé des députés à créer cette mission d’information sur les moyens de l’Etat islamique (EI). Jana Hybaskova, ambassadrice de l’Union européenne en Irak, avait affirmé en septembre 2014, lors du Comité des Affaires étrangères du Parlement européen, que certains pays européens avaient acheté du pétrole à l’EI, sans le savoir.
Le rapport de la mission d'information sur les moyens de Daesh contredit cette éventualité. «On peut affirmer que les Etats européens ne participent pas au financement de Daech», insistait Jean-Frédéric Poisson (LR), le président de la mission, lors d'une conférence de presse mercredi. «Il n'y a pas de financement d'Etat de Daech», a ajouté le rapporteur Kader Arif, en réponse aux soupçons visant l'Arabie Saoudite. L'ampleur des financements étrangers de l'EI ne serait qu'une «source de fantasmes», selon la mission. Ils ne représenteraient qu'une infime partie des ressources de l'organisation, estimée à environ 5 millions de dollars par an (4,5 millions d'euros).
2) Les moyens financiers et humains de l’EI ont fortement diminué
Une des principales conclusions du rapport est la chute notoire des moyens de financement de l'EI depuis sa création à l'été 2014. Plusieurs facteurs expliquent cette tendance. La baisse du cours du pétrole d'abord, les prix ayant diminué fortement depuis 2014, d'autant plus que l'EI doit effectuer ses transactions à un prix nettement inférieur au cours mondial, en raison de la moindre qualité du pétrole qu'il vend. Le prix du baril vendu par Daech varierait entre 15 et 45 dollars (le prix actuel mondial), selon le rapport. Autre facteur de cette baisse: la difficulté pour Daech de renouveler des installations vieillissantes d'extraction de pétrole et de recruter des techniciens qualifiés pour cela. Enfin, «les frappes aériennes de la coalition et celles des Russes, en désorganisant l'acheminement du pétrole et sa vente, ont également réduit les revenus que Daech tire du pétrole», affirme le rapport. Alors qu'en 2014, les ressources naturelles représentaient plus de 80 % des revenus de l'EI, elles n'en représenteraient plus que 60 % en 2015.
L'EI aurait aussi vu le nombre de ses «soldats» diminué fortement en deux ans. «En 2014, les experts considéraient que l'organisation comptait 20 000 à 35 000 combattants, précise le rapport. À la fin du mois de juin 2016, des sources concordantes évoquent une […] baisse: les effectifs de Daech s'établiraient à 12 000 individus, sans qu'il soit possible de savoir si la proportion entre combattants locaux et combattants étrangers est restée la même.»
3) Le rapport blanchit Lafarge des accusations menées par le Monde
Le 21 juin, le Monde publiait une enquête accusant la société Lafarge, devenue LafargeHolcim, numéro un mondial de la fabrication de ciment, d'avoir «indirectement – et peut-être à son insu – financé les djihadistes de l'EI pendant un peu plus d'un an, entre le printemps 2013 et la fin de l'été 2014», pour maintenir l'activité de leur usine d'Al-Jalabiah, en Syrie, avant qu'elle ne tombe aux mains de l'EI.
Les membres de la mission parlementaire ont conclu que : «Les éléments auxquels le Rapporteur a pu avoir accès ne confirment en rien ces accusations. Rien ne permet d'établir que le groupe, ou ses entités locales, ont participé, directement ou indirectement, ni même de façon passive, au financement de Daech.»
Le rapport développe: «Compte tenu du caractère extrêmement mouvant de la situation dans la zone, le fait d'essayer de préserver le site malgré les risques a pu apparaître ambigu et générer des soupçons. Des comportements individuels les ont aussi alimentés. Les personnels concernés ont été sanctionnés immédiatement: le groupe a procédé à leur licenciement, témoignant sa volonté de n'entretenir en rien une quelconque proximité avec Daech.»
La mission précise que la situation de cette usine aurait «nécessairement fait l'objet d'un suivi attentif de la part des autorités françaises et d'un échange régulier avec les responsables du groupe».
4) L’EI s’oriente vers un modèle de financement mafieux
«La structure des ressources de Daech a fondamentalement changé depuis 2014», décrit le rapport de la mission parlementaire. Les ressources criminelles et les trafics auraient considérablement augmenté. «De proto-État, elle semble se transformer en organisation criminelle et mafieuse», tranche la mission.
Confronté à une baisse des revenus tirés des ressources naturelles, Daech a dû réduire certaines dépenses mais surtout créer ou augmenter certains prélèvements. «Un proto-système fiscal aurait rapporté entre 800 et 900 millions de dollars en 2015, contre 360 millions en 2014», décrit le rapport. Ces «taxes» s'apparentent en réalité plus à une série d'extorsions qu'à des éléments réellement constitutifs d'un «système fiscal». «L'extorsion ne peut pas et ne doit pas être assimilée à la levée d'impôts», a souligné le rapporteur Kader Arif.
5) Les réseaux sociaux et de télécommunications sont montrés du doigt pour leur laxisme
Le 24 mai, la mission parlementaire organisait une table ronde réunissant la directrice des affaires publiques France de Twitter, le responsable des affaires publiques de Facebook, le responsable des affaires publiques de Google France et le responsable communautés de Dailymotion. Les résultats de leurs auditions sont à charge contre ces réseaux sociaux et canaux de télécommunications, qui «doivent se doter d'outils et d'équipes performantes pour lutter contre la prolifération des discours extrémistes, et ne sauraient se limiter, comme aujourd'hui, à une attitude passive qui consiste à simplement retirer les contenus signalés par les internautes ou les autorités», selon la mission.
Le rapporteur estime que «les grandes plateformes du web sociales ne sont pas assez proactives dans la lutte contre la propagande de Daech. Les avancées qu'elles proposent restent peu opérationnelles et souvent à l'état d'intention.»