C'est un partisan de l'Etat islamique qui réagit mardi à un tweet de BFM TV annonçant que plusieurs médias ne publieront plus les photos des terroristes : «Tant mieu (sic), ces nobles visages ne se retrouveront plus dans vos médias impurs et vos torchons.» Réaction d'orgueil ou simple constat ? La deuxième option est la plus probable. Les jihadistes de l'EI haïssent télés, radios et journaux dits traditionnels, qu'ils soient occidentaux ou arabes. «Ils les méprisent. Ils les accusent de mener une guerre contre l'islam, explique Romain Caillet, spécialiste des questions islamistes. L'EI, comme tous les groupes fondamentalistes, ne supporte pas la critique. Ses membres se considèrent comme les meilleurs des hommes, telle une élite à l'avant-garde de l'"oumma" [la communauté des musulmans, ndlr]. Ils sont extrêmement susceptibles.» Comme toute organisation radicale, l'Etat islamique veut contrôler sa communication de manière absolue. Ses membres redoutent avant tout qu'elle leur échappe, que des images autres que les leurs, agrémentées de commentaires qu'ils n'ont pas validés, puissent être rendues publiques.
«Famille». A l'automne 2014, Abdelhamid Abaaoud, le coordinateur des attentats du 13 Novembre à Paris et Saint-Denis, avait publié des messages rageurs sur ses comptes Facebook après être apparu dans un sujet diffusé sur des chaînes belge et française. Les images, qui le montraient hilare au volant d'un pick-up traînant des cadavres, provenaient de son téléphone mobile récupéré par des rebelles syriens. «Je ne pense pas que les jihadistes aient envie d'apparaître torse nu ou en marcel sur BFM TV, comme on a pu le voir récemment, poursuit Romain Caillet. Ce n'est pas vraiment glorifiant. De la même manière, ils préfèrent être appelés par leur nom de guerre, qu'ils ont choisi, ou même de rester anonymes plutôt que d'être identifiés par leur vrai nom. Ils savent que leur famille en pâtira.»
«Agence». Tout à sa propagande, vitale pour attirer des recrues en Syrie et en Irak ou les pousser à commettre des attaques chez eux, l'EI a développé son service de communication. Les vidéos et les messages audio qui glorifient les «héros», auteurs d'attentats, circulent ensuite sur les réseaux sociaux et dans des groupes fermés hébergés par des messageries sécurisées comme Telegram. «Il ne faut pas oublier que la plupart d'entre eux se connaissent, explique Yves Trotignon, ancien membre de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE). On l'a vu de manière évidente pour les auteurs des attaques de novembre. Ils se considèrent comme des héros et discutent entre eux. Ils se moquent pas mal de ce que l'on dit d'eux dans Libération ou dans le Figaro, qu'ils ne lisent pas de toute façon.»
Cet entre-soi était clair lors de l'assassinat d'un couple de policiers, en juin à Magnanville (Yvelines). Le jihadiste Larossi Abballa s'est filmé dans la maison de ses victimes. Il n'a pas envoyé la vidéo à l'AFP, à une télé ou à un journal. Il l'a publiée sur Facebook. Seuls ses contacts, une petite centaine, pouvaient la visionner. Le film a été récupéré par l'EI, qui l'a expurgé des scènes les plus choquantes. Il l'a diffusé via Amaq, organe de propagande présenté comme une «agence de presse». Accessibles via Telegram, ses messages se donnent une apparence de sérieux et de modération dans le vocabulaire. Le Hezbollah libanais n'est plus présenté comme «le parti de Satan», comme c'est l'usage dans d'autres publications. Les références religieuses sont plus rares. C'est désormais Amaq qui revendique le plus souvent les attentats et qui publie les photos et les vidéos des auteurs. Elles peuvent ensuite circuler sur les réseaux sociaux.