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Médias

Montrer les visages des terroristes : et ailleurs en Europe ?

Mohamed Abrini.  (Photo police belge. AP)
publié le 28 juillet 2016 à 20h31

Le débat sur l'anonymisation des terroristes dans les médias a dépassé les frontières. En Italie, c'est la Repubblica qui décide jeudi, dans le sillage de certains médias français, de ne plus publier en une ni les photos des terroristes, ni celles des victimes. «Les terroristes ont montré qu'ils savaient utiliser la vidéo et les réseaux sociaux pour faire leur propagande, écrit Mario Calabresi, le directeur du quotidien. Mais cela n'enlève rien à notre responsabilité de diffuseur d'informations.»

Le pas franchi par certains médias français a aussi provoqué un débat en Allemagne, où les rédactions refusent cependant toute décision de principe. «Faire preuve de responsabilité dans l'usage des photos veut dire que nous gardons notre liberté, et décidons toujours au cas par cas», explique une porte-parole du groupe Springer, l'éditeur de Bild, (près de 4 millions de lecteurs par jour). Le tabloïd n'a d'ailleurs pas hésité à publier une photo du terroriste d'Ansbach, qui passionne la presse allemande à cause de son allégeance à l'Etat islamique (EI). Même tonalité du côté des principaux magazines d'information. «Le Spiegel continuera de publier des photos de terroristes, mais en aucun cas sous une forme héroïsante», précise le porte-parole du magazine.

L'hebdo Stern, lui, publie cette semaine des photos du tueur de Nice, floutées en couverture, non floutées en pages intérieures. «Notre préoccupation est d'éviter la publication de tout matériel de propagande qui pourrait glorifier les terroristes, stimuler les recrutements ou inciter des jeunes à imiter leurs actes», détaille-t-on en interne. Les chaînes de télé allemandes ont, en général, décidé de flouter les photos de terroristes, comme RTL ou la chaîne d'info en continu NTV. Dans les cas de tueries de masse, la chaîne publique ARD avait décidé «après consultation de criminologues et de psychologues» de renoncer «entièrement» aux photos permettant de reconnaître les forcenés. «Cette directive ne concerne pas les actes de terreur à teneur politique ou religieuse, même si nous faisons preuve d'une très grande retenue dans la publication de photos de terroristes islamistes», précise le rédacteur en chef d'ARD-Aktuell.

La presse britannique…elle, ne semble pas vraiment se poser la question. Au lendemain de l'attaque de Saint-Etienne-du-Rouvray, le visage d'Adel Kermiche apparaissait en une de plusieurs tabloïds. Habitués à diffuser les photos de victimes et de criminels, le Sun, le Daily Mail, Metro et autres sont restés fidèles à leur couverture sensationnaliste. Les journaux dits sérieux publient eux aussi les images des assaillants. The Independent, par exemple, a diffusé sur son site la vidéo des deux terroristes prêtant allégeance à l'EI, et le Guardian a reproduit le brevet de sécurité routière d'Abdel-Malik Nabil Petitjean.

A propos du débat actuel en France, le rédacteur en chef du service diplomatie du Guardian, Patrick Wintour, a évoqué sur Twitter le retour du «débat sur l'oxygène de la publicité». Une référence à un discours de Margaret Thatcher sur le terrorisme, qui date de 1985 et visait alors l'IRA : «Nous devons trouver des moyens de priver les terroristes de l'oxygène de la publicité dont ils dépendent. Ne devrions-nous pas demander aux médias de s'accorder sur un code de conduite, qui consisterait à ne pas dire ou montrer des choses qui aideraient les terroristes ou leur cause ?» Des propos qui résonnent étrangement aujourd'hui.