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Présidentielle

L’Amérique désunie, le scrutin indécis

Officiellement investis lors des conventions républicaine et démocrate qui viennent de s’achever, Donald Trump et Hillary Clinton vont défendre des visions radicalement opposées lors du sprint final vers la Maison Blanche.

Hillary Clinton, à Philadelphie, le 28 juillet. (Photo Andrew Harnik. Reuters)
ParFrédéric Autran
envoyé spécial à Philadelphie
Publié le 29/07/2016 à 20h31, mis à jour le 29/07/2016 à 20h47

Les primaires sont terminées, la bataille finale lancée. Et elle s’annonce aussi incertaine qu’impitoyable entre Hillary Clinton et Donald Trump, deux rivaux dont le principal point commun réside dans leur vertigineuse impopularité. Reflet d’un pays fracturé, les conventions des deux grandes formations politiques américaines ont offert deux visions diamétralement opposées des Etats-Unis.

A Cleveland, où étaient rassemblés les républicains la semaine dernière, il a beaucoup été question d'une nation sinistrée et en danger, de sécurité (nationale, internationale et économique) et de l'unique sauveur capable de ramener ordre et prospérité : Donald Trump. A Philadelphie, lieu de rendez-vous cette semaine des démocrates, on a surtout parlé santé, éducation, diversité. Et respect. Respect des minorités, de la communauté LGBT, de la vie des jeunes Noirs et, plus largement, du vivre ensemble. «Stronger together» («plus forts ensemble»), le slogan d'Hillary Clinton, s'affichait sur les pancartes brandies par les délégués.

Alors que les orateurs républicains n'avaient à la bouche que le leitmotiv de leur champion - «Make America great again» («rendre sa grandeur à l'Amérique») -, les démocrates ont rejeté avec force ce portrait décliniste et pessimiste. «Ce n'est pas l'Amérique que je connais. L'Amérique que je connais est pleine de courage, d'optimisme et d'ingéniosité. L'Amérique que je connais est décente et généreuse», a déclaré Barack Obama mercredi soir. Au cours d'un discours magistral de trois quarts d'heure, avec son éloquence habituelle, le Président a martelé que l'Amérique était «déjà grande» et «déjà forte». «Je vous le promets, notre force, notre grandeur ne dépendent pas de Donald Trump. […] Nous ne voulons pas d'un souverain», a-t-il tonné devant une foule en ébullition.

La magie Obama opère toujours. Et pas seulement celle de Barack. Deux jours avant son mari, la First Lady avait elle aussi galvanisé les milliers de délégués et invités démocrates. Sur la scène du Wells Fargo Center, Michelle Obama a livré un vibrant plaidoyer en faveur d'une Amérique tolérante et inclusive, dénonçant - sans jamais le nommer - Donald Trump et sa campagne «haineuse». Epouse du premier président noir de l'histoire des Etats-Unis, Michelle Obama a raconté, la gorge nouée, son émotion de se réveiller chaque matin à la Maison Blanche, «une maison construite par des esclaves». «Ne laissez personne vous dire que l'Amérique n'est pas grande. C'est le plus grand pays sur Terre», s'est-elle écriée, sous un tonnerre d'applaudissements.

L’époque des relations glaciales entre les Obama et les Clinton, lors des féroces primaires de 2008, est désormais loin. A six mois de la fin de sa présidence, Barack Obama sait que la préservation de son héritage politique - réforme de l’assurance maladie Obamacare, accord sur le nucléaire iranien, rapprochement avec Cuba ou mesures de protection de l’environnement - dépend de la victoire d’Hillary Clinton.

Nette percée

D'ici le 8 novembre, celui qu'on surnomme «campaigner-in-chief» devrait donc s'impliquer activement dans la bataille électorale. Une présence plus que bienvenue pour l'impopulaire Hillary Clinton, qui espère bénéficier de la cote d'amour du 44e président des Etats-Unis : 51 % d'opinions favorables au niveau national, 87 % chez les sympathisants démocrates. «Ce soir, je vous demande de faire pour elle ce que vous avez fait pour moi. Je vous demande de la porter comme vous m'avez porté», a plaidé mercredi Obama.

Outre le couple présidentiel, véritable héros de cette convention de Philadelphie, Hillary Clinton a pu compter sur le soutien de toutes les figures de son propre camp : son rival des primaires, Bernie Sanders (lire aussi page 4), le vice-président, Joe Biden, son mari, Bill Clinton, ainsi que des dizaines de gouverneurs, sénateurs et élus à la Chambre des représentants. L'ancien maire de New York, Michael Bloomberg, républicain devenu indépendant, a également choisi de soutenir Clinton, qualifiant Trump de «dangereux démagogue» et d'«escroc». L'image tranchait avec la convention républicaine, boycottée par de nombreux caciques du parti - les deux présidents Bush, les anciens candidats Mitt Romney, John McCain, Marco Rubio et John Kasich, pour ne citer qu'eux.

Donald Trump, pourtant, semble plus que jamais se suffire à lui-même. Après la convention de Cleveland, le magnat de l'immobilier a connu une nette percée dans les sondages, dépassant la candidate démocrate dans plusieurs enquêtes d'opinion. Les sondages montreront dans quelques jours si Hillary Clinton bénéficie d'un effet post-Philadelphie.«Tout est possible», a répondu Barack Obama à un journaliste qui lui demandait cette semaine si Donald Trump avait une chance de l'emporter.

Pour faire pencher la balance en sa faveur, Hillary Clinton entend insister sur la dimension historique de sa candidature. Si elle l'emporte cet automne, l'ancienne First Lady et secrétaire d'Etat deviendra la première femme présidente de l'histoire des Etats-Unis. «Sa nomination représente une énorme percée pour toutes les femmes. Pas seulement pour celles qui sont dans cette salle, mais pour nos filles, petites-filles et toutes les femmes à travers le pays», confiait Elaine Marshall, déléguée démocrate et secrétaire d'Etat de Caroline du Nord, lors de la convention.

Arène boueuse

Pour espérer conquérir la Maison Blanche, Donald Trump doit, quant à lui, mobiliser massivement l'électorat blanc (72 % des votants en 2012), la seule catégorie de la population qui vote majoritairement républicain. Au cours des prochains mois, le candidat devrait partir à l'assaut des cinq «Swing States» (Etats votant tantôt démocrate, tantôt républicain) de la «Rust Belt» : le Wisconsin, l'Ohio, le Michigan, la Pennsylvanie et le New Hampshire. Sur ces rudes terres industrielles, Donald Trump va chercher à rallier un maximum de cols bleus, ces ouvriers majoritairement blancs qui ont longtemps voté démocrate mais sont séduits par le discours protectionniste du milliardaire et son fameux «America first». Consciente que l'élection pourrait se jouer dans cette «ceinture de la rouille», Hillary Clinton et son colistier, Tim Kaine, y entament ce samedi en bus leur première tournée électorale, en Pennsylvanie et dans l'Ohio.

Pour l’ancienne secrétaire d’Etat, le principal défi sera de trouver le ton juste face à un adversaire qui ne respecte aucun des codes traditionnels de la vie publique. Ces mêmes codes qui façonnent Hillary Clinton depuis trois décennies. Devra-t-elle s’en affranchir et se jeter dans l’arène boueuse que lui tend son rival ? Ou au contraire mener une campagne traditionnelle et combattre sur le terrain des idées, au risque d’apparaître ennuyeuse ? Dans une course que les sondages annoncent serrée, les trois débats présidentiels pourraient se révéler cruciaux. Premier rendez-vous le 26 septembre.