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Mort de Christophe de Margerie : tout petit procès pour un «accident suspect»

Cinq personnes sont jugées depuis jeudi à Moscou pour «violation des règles de sécurité» dans la nuit du 20 octobre, ce qui aurait provoqué le crash entre l’avion du président de Total, ami de Poutine, et une déneigeuse. Une accusation douteuse pour certains.
En octobre 2014, l’avion de Christophe de Margerie entre en collision avec un chasse-neige et s’écrase. (Photo Maxim Zmeyev. Reuters)
publié le 29 juillet 2016 à 19h31

Assis à l'ombre d'un arbre, Vladimir Martynenko est silencieux. Il passe sa main sur son front à intervalles réguliers, ses yeux clairs fixent le vide. Le procès reprend dans une demi-heure au tribunal de Solntsevo, quartier excentré au sud-ouest de Moscou. «Nous espérons une peine relative, de l'ordre de trois ans de privation de liberté, d'autant plus que Vladimir est déjà âgé», confie Stanislav Maltsev, suppléant de son avocat.

Dans la nuit du 20 au 21 octobre 2014, Vladimir Martynenko conduisait un chasse-neige sur le tarmac de l'aéroport moscovite Vnoukovo. Le dirigeant de Total, Christophe de Margerie, à bord de son Falcon, quitte alors Moscou. Au décollage, l'avion entre en collision avec le chasse-neige et s'écrase. L'homme d'affaires de 63 ans perd la vie, ainsi que les deux pilotes et l'hôtesse de l'air. «C'est l'un des accidents les plus retentissants de ces dernières années», écrivait vendredi le quotidien Kommersant.

Après une première audience préliminaire à huis clos il y a une semaine, le procès a débuté jeudi. Il se tient dans une toute petite salle, si bien que les journalistes - trois Russes et Libération - doivent le suivre dans une autre pièce avec retransmission sur écran. Cinq employés de l'aéroport sont jugés pour «violation des règles de sécurité» ayant entraîné la mort : le conducteur du chasse-neige, l'ingénieur en chef, le responsable du contrôle des vols et les deux contrôleurs aériens. Une sixième personne, l'aiguilleuse du ciel - stagiaire au moment des faits -, avait été inculpée après l'accident, mais les charges pesant contre elles ont été abandonnées. Vladimir Martynenko, le principal accusé, a plaidé coupable. Selon les enquêteurs, cet homme de 60 ans avait de l'alcool dans le sang la nuit du drame - 0,6 gramme par litre, une quantité non négligeable mais pas démesurée. A partir des enregistrements audio d'une des boîtes noires et des vidéos des caméras de surveillance de l'aéroport, le comité d'enquête a reconstitué la scène. Selon lui, le chasse-neige est revenu sur la piste durant la procédure de décollage.

«Il ne s'agit pas d'un tragique concours de circonstances, mais d'une négligence criminelle des fonctionnaires», avait jugé ce comité au lendemain de la catastrophe. L'ingénieur en chef, Vladimir Ledenev - le supérieur de Martynenko -, a également plaidé coupable, estimant toutefois sa responsabilité limitée. Ledenev reconnaît «ne pas avoir vérifié le travail de ses employés», a déclaré son avocat, Leonid Kourakine. Le responsable de l'aérodrome de Vnoukovo, Mikhaïl Belooussov, devait témoigner ce vendredi mais ne s'est pas présenté au tribunal. Parti en vacances, a expliqué son assistante. Son adjoint, Andreï Beliaev, a été interrogé sur les conditions météo et les déneigeuses. Selon lui, c'est le responsable des vols qui aurait commis une faute en autorisant le décollage sans avoir vérifié au préalable l'état de la piste.

«Pas clair»

Outre Martynenko et Ledenev, les autres accusés devraient plaider non coupables. «Il est clair qu'il y a eu une série d'erreurs», estime Denis Slavoutski, l'avocat d'Alexandre Krouglov, l'un des contrôleurs aériens, à la sortie du tribunal. «Mais les pilotes étaient en mesure de réagir, ils avaient quatorze secondes pour prendre une initiative.» A ses côtés, Olga Dinze défend l'autre contrôleur, Nadejda Arkhipova. La jeune femme, en tunique jaune fluo, porte un tout autre regard sur l'affaire : «Cette version ne tient pas debout, certaines choses ne sont pas claires. Cet accident est suspect. Seulement, je ne peux rien prouver.» Le décès d'un puissant homme d'affaires français ami de la Russie alimente les spéculations :en France, la journaliste Muriel Boselli a même consacré un livre à ces «zones d'ombre», intitulé l'Enigme Margerie (lire aussi Libération du 1er juin).

Crispé

En Russie aussi, la mort de Christophe de Margerie a suscité une vive réaction. Total est implanté dans le pays depuis 1991, et son patron était considéré comme un «véritable ami» de la Russie par Poutine. Le président russe l'a même décoré à titre posthume de la médaille d'honneur russe pour sa «contribution au développement des liens économiques et culturels franco-russes». Dans un contexte diplomatique très crispé entre la Russie et l'Union européenne, Christophe de Margerie désapprouvait ouvertement les sanctions économiques adoptées contre Moscou. Quelques heures avant sa mort, il participait à une réunion gouvernementale consacrée aux investissements dans la région. Selon les avocats, le procès devrait durer au minimum deux mois à raison de deux séances par semaine. Reprise à la mi-septembre.