Menu
Libération
Décryptage

Sept mois de paralysie en Espagne

Il n'y a plus de gouvernement depuis le 21 décembre. Le conservateur Mariano Rajoy a entamé les discussions pour parvenir à une majorité stable au Parlement. Mais ni la gauche ni le centre ne sont pour le moment prêts à le soutenir.

Le roi d'Espagne Felipe VI reçoit le chef du gouvernement sortant, Mariano Rajoy, le 28 juillet à Madrid. (Photo Angel Diaz. Reuters)
Publié le 29/07/2016 à 19h20

Samedi, l’Espagne atteindra 220 jours sans gouvernement. Le chef de l’exécutif, Mariano Rajoy, en fonction depuis 2011, et son cabinet, expédient les affaires courantes depuis le 21 décembre et ne peuvent mettre en route aucune réforme. Jeudi, le roi Felipe VI a demandé au chef du gouvernement sortant de tenter de former un cabinet pour mettre fin au blocage. Après un premier échec en début d’année et malgré de nouvelles élections en juin, la tâche apparaît délicate Décryptage.

Comment en est-on arrivé là ?

Les législatives du 20 décembre ont été marquées par l’entrée au Parlement de deux nouveaux partis : Podemos («Nous pouvons», gauche anticapitaliste) et Ciudadanos («Citoyens», centre droit). Le bipartisme et l’alternance au pouvoir entre PSOE (social-démocrate) et PP (conservateur), qui a régi la vie publique espagnole depuis le retour de la démocratie, en 1977, a volé en éclats. Le roi Felipe VI a confié aux uns et aux autres, pendant cinq mois, la tâche de réunir une majorité par le biais d’accords ou de coalitions. Peine perdue : ni Mariano Rajoy ni le candidat socialiste, Pedro Sanchez, n’ont eu assez de votes à l’Assemblée pour être investis. Il a fallu retourner aux urnes le 26 juin. Les nouveaux résultats n’ont guère modifié l’équilibre des forces entre droite et gauche, et la majorité reste toujours aussi difficile à trouver.

Quel est le paysage politique actuel ?

Les nouveaux partis ont prospéré dans le contexte d’une crise économique dévastatrice, avec un chômage qui a atteint 26% de la population active, cinq années de récession, de 2008 à 2013, et une paupérisation générale. Les deux grands partis ont perdu la moitié de leurs électeurs, au profit de formules de renouvellement de la vie politique et de lutte contre la corruption, dans un contexte de scandales en cascade, surtout concernant le PP. La volonté de rupture avec la politique traditionnelle place les «partis du changement» dans une position délicate : comment pactiser avec les forces qu’on ne cesse de dénoncer ? Ciudadanos s’est tenu éloigné du PP, mais aussi d’un «pôle centriste» qui inclurait le PSOE. Podemos a proposé une feuille de route aux socialistes, mais ses exigences ont été jugées exorbitantes par le PSOE. Les partis régionalistes, catalans et basques, qui par le passé ont servi de force d’appoint dans des majorités parlementaires, sont hors du jeu : leur volonté d’organiser des référendums ouvrant la voie à l’indépendance n’est souscrite que par Podemos, et refusée en bloc par les autres grandes formations.

Quel est le calendrier ?

Mariano Rajoy s’est vu proposé de former un gouvernement en tant que chef du parti arrivé en tête le 26 juin: le PP a obtenu 33,1% des voix, et 137 députés (contre 123 lors du scrutin de décembre). Mais il est loin de la majorité absolue de 176 sièges qui lui permettrait de gouverner seul. Il doit donc convaincre les autres formations de lui apporter les voix qui lui manquent pour obtenir la confiance du Parlement. Ou de s’abstenir. S’il échoue, le roi confiera la même tâche au parti arrivé deuxième, le PSOE : 22,66% et 85 députés. Et si les socialistes ne parviennent pas non plus à réunir une majorité, de nouvelles élections seront convoquées.

Comment l’Espagne fonctionne-t-elle ?

Les ministres en place en décembre le sont toujours formellement mais leur rôle est purement administratif, et la plupart s’abstiennent de déclarations publiques. Faute de majorité pour voter les lois, aucune réforme n’est possible. C’est particulièrement délicat en matière de finances. La Commission européenne, qui menaçait l’Espagne d’une amende de 2 milliards d’euros pour dépassement des déficits publics, a finalement renoncé à la sanction, sur le ton de «ça passe cette fois-ci mais que ça ne se reproduise pas». L’UE donne à Madrid jusqu’à 2018 pour adopter de nouvelles mesures d’économies. Mais pour proposer le budget 2017 et le faire voter, il faut un exécutif en état de marche.