Un chasseur et un drone américains ont lâché des bombes, lundi, sur la ville de Syrte. Elles auraient détruit un tank et deux véhicules de jihadistes, «infligeant de lourdes pertes à l'Etat islamique», a indiqué le chef du gouvernement d'union nationale lybien, Faïez el-Serraj. Avec ces frappes, Washington entend précipiter la chute de l'organisation terroriste dans son fief de Lybie, sous pression depuis bientôt trois mois.
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La bataille de Syrte est-elle à un tournant ?
Les troupes alliées au gouvernement d’union nationale ont pénétré dans l’ex-cité de Kadhafi le 9 juin. Depuis, leur progression est ralentie par les pièges explosifs et surtout les attaques-suicides des combattants de l’Etat islamique, retranchés dans le centre-ville de Syrte, autour du centre de conférence Ouagadougou. Selon le Pentagone, moins de 1 000 jihadistes participeraient encore aux combats.
Du côté des forces loyalistes, 300 hommes ont été tués dans les affrontements et 1 500 blessés, selon des sources médicales à Misrata, où se trouve le centre de commandement de l’opération de reconquête. L’essentiel des victimes appartiennent aux brigades de cette puissante ville de l’Ouest revenue au premier plan depuis la révolution de 2011. Sans composer une vraie armée nationale, les miliciens de Misrata ont accepté de se mettre au service de Faïez el-Serraj.
Mardi, elles ont progressé un peu plus vers le centre de Syrte en «prenant le contrôle total du quartier Al-Dollar», qu'elles attaquaient depuis trois jours. Les bombardements américains, bien plus précis que ceux de la chasse libyenne, devraient accélérer l'avancée des brigades pro-gouvernementales, qui piétinaient depuis plusieurs semaines. Selon le Los Angeles Times, un porte-avions américain est positionné à une trentaine de kilomètres des côtes de Syrte pour permettre des interventions très rapides.
Est-ce un nouveau front pour les Etats-Unis ?
Les bombardements de lundi ne sont pas une première en Libye. En novembre, un raid américain mené par des F15 à Derna, dans l'est, avait déjà visé et tué un jihadiste irakien, Abou Nabil, présenté alors par Washington comme «le plus haut responsable de l'Etat islamique en Libye». En février, c'est un camp d'entraînement qui avait été frappé par les chasseurs américains à Sabratha, près de la frontière tunisienne, faisant une cinquantaine de morts.
Cette fois-ci, les Etats-Unis ne vont pas se contenter d'un bombardement isolé. La campagne aérienne qui débute «n'a pas de date de fin pour le moment», a expliqué Peter Cook, le porte-parole du Pentagone, qui répète que «chaque frappe se fera en accord et en coordination avec le gouvernement d'union nationale». «Elles ne dépasseront pas Syrte et sa banlieue, a cependant assuré Faïez el-Serraj. Et le gouvernement sera informé préalablement des raids et des coordonnées GPS des cibles.»
Après l'Irak, la Syrie et l'Afghanistan, Washington ouvre donc un quatrième front dans sa lutte contre l'Etat islamique. Depuis plusieurs mois, des membres des forces spéciales américaines conduisaient de discrètes actions de renseignement au sol en Libye. «Leur rôle était d'établir des communications et des contacts, selon Peter Cook. Il n'a pas changé. Mais il est séparé et distinct de cette opération [à Syrte].»
Est-ce une bonne nouvelle pour le gouvernement libyen ?
Faïez el-Sarraj s'est empressé d'affirmer, dans une déclaration télévisée, que les frappes américaines ont été effectuées sur demande de son gouvernement. Le Premier ministre marche sur des œufs : le coup de pouce militaire de Washington peut lui offrir cette victoire contre l'Etat islamique dont il a désespérément besoin pour asseoir sa légitimité, mais la question des interventions étrangères est explosive en Libye. L'aide des Etats-Unis «se limitera aux frappes et au partage de renseignement», a-t-il précisé.
Le contraste est grand avec sa réaction après l'annonce publique de la présence de militaires français dans le pays, il y a deux semaines. François Hollande avait alors reconnu pour la première fois que des soldats menaient des opérations de renseignement en Libye, après le crash d'un hélicoptère à Benghazi dans lequel trois Français ont perdu la vie. Le gouvernement avait parlé d'une «violation de son territoire» et plusieurs manifestations antifrançaises avaient été organisées dans les villes libyennes.
Mais au-delà de l'orgueil national blessé, Faïez el-Serraj est surtout furieux du soutien implicite de Paris à Khalifa Haftar, l'homme fort de l'est du pays, qui bloque toujours la reconnaissance de son gouvernement. Les trois militaires français tués à Benghazi collaboraient en effet avec les forces armées du général. Or ce dernier, en refusant d'accepter la légitimité de Faïez el-Sarraj, empêche la réunification du pays, de fait coupé en deux. Dans une allusion transparente au cas français, le Premier ministre libyen a souligné ce lundi qu'«aucune action ne sera tolérée au profit d'une partie non-légitime, même si elle intervient dans le cadre de la lutte antiterroriste».