«Mini Daech» en Egypte: une des pires émissions de télévision
Voilà presque un mois que le ramadan s'est achevé. Alors que nous avons recherché un sujet fun, léger et étonnant pour notre revue du web arabophone, histoire de se mettre dans l'ambiance estivale, nous sommes tombés sur ce sujet, qui va à l'encontre de tout ce qu'on recherchait. Une émission diffusée sur la chaîne de télévision égyptienne Al Nahar TV : «Mini Daech».
Son principe ? Inviter une personnalité égyptienne connue dans un appartement et simuler son enlèvement par des terroristes de l'EI pendant, tenez-vous bien, 15 minutes. Le tout filmé en caméra cachée ! Les acteurs sont déguisés en terroristes, munis d'armes factices, et disent vouloir ceindre leurs «otages» d'une ceinture d'explosifs. Les victimes de ce canular passent au fil des épisodes par plusieurs états : hystérie, peur, hurlements, pleurs…
Par exemple, sur la vidéo ci-dessous, on voit l'actrice égyptienne Heba Magdi totalement paniquée face aux «terroristes». Lesquels la mettent en joue et lui ordonnent de poser devant le drapeau du groupe Etat islamique pour une séance photo. On la voit à ce moment-là les supplier de la laisser en vie alors que des coups de feu et des explosions sont simulés…
Cette espèce de show qui oscille entre téléréalité et canular a prospéré durant le mois sacré censé être dévolu au recueillement, qui plus est en Egypte, un pays frappé par les menaces régulières de l'EI. Si elle n'a vraisemblablement pas rencontré un succès fou, «Mini Daech» a néanmoins interpellé les éditorialistes égyptiens.
Sami Charif, un communicant qui travaille pour l'équivalent du CSA en France, fustige, en plus de son ineptie, la violence de cette émission, dont le seul titre véhicule à lui tout seul les idées terroristes. Et martèle qu'on ne peut pas considérer ce show avec légèreté, surtout à l'heure où les familles prennent l'iftar/le ftour – le repas quotidien traditionnel de rupture du jeûne –, et partagent donc avec leurs enfants un moment de télévision… Le Daily Mail considère l'émission comme la plus hardcore du moment, encourageant le terrorisme, sans compter les risques réels de santé qu'elle fait courir aux invités du show.
«Il s'agit d'une farce qui, en reproduisant les prises d'otage de Daech, rabaisse la télévision égyptienne», assène la rédactrice en chef du site d'information Egyptian Street, Salma El-Saeeed. Contactée par Libération, cette dernière explique la diffusion de cette émission en plein ramadan par l'envie des Egyptiens de se divertir à cette période, tout en se disant choquée «qu'une chaîne de télévision tourne le terrorisme en dérision dans un pays qui en souffre».
Le show a crispé jusque dans les rangs des politiques égyptiens. Le parlementaire Mustapha Bakri, par exemple, est intervenu publiquement en demandant aux instances de contrôle des médias de stopper cette émission qui entretient selon lui la peur et la tension chez les Egyptiens. En vain. Il a accusé dans la foulée le programme de vouloir dédiaboliser les actes criminels de l’EI dans les rues égyptiennes.
Sur le quotidien égyptien AlHayat, l'éditorialiste Fajar Yakoub pense que la catharsis s'opère à l'envers aussi bien dans l'esprit des participants que dans celui des spectateurs. Ce qui contribuerait par ricochet à la diffusion de leur idéologie. Un avis que ne partage absolument pas le présentateur de l'émission Khaled Eleish, interrogé par Libération. Pour lui, c'est «juste comique», il n'y prête aucune vocation idéologique, ni même cathartique. «Nous devons réaliser constamment de nouveaux produits télévisuels, c'est un vrai challenge. Et c'est un show-gag, conçu juste pour faire rire. Nous avons reçu de très bons retours des téléspectateurs, ça les faisait rire, et c'était personnellement mon but principal» explique-t-il. Le producteur Ramez Galal, lui, n'a pas souhaité répondre à nos questions malgré nos nombreuses sollicitations.
Du côté de l'Orient Le Jour, on dénonce le deux poids deux mesures du show. «Les protecteurs de nos mœurs sont vigilants pour censurer à la vitesse de l'éclair des œuvres d'art, des chansons et des films prodigieux qui nous invitent à la réflexion, mais laissent passer sans état d'âme aucun la médiocrité et la vulgarité, jugeant que c'est une moindre menace pour des esprits censés baigner constamment dans l'apathie et l'abrutissement, peut-on y lire. Quelles seront les exigences dans quelques années ? Assisterons-nous à des massacres en direct, genre le Pulse à Orlando, en Floride… pour divertir le peuple ?» Par ailleurs, il y a eu aussi des variantes de ce programme dans le monde arabe, notamment en Arabie Saoudite et sur internet, comme l'a relevé L'Express dans son article : Un faux jihadiste terrorise des Saoudiens dans une vidéo «dégueulasse» et «pas drôle».
Pokémon Go prend une autre dimension pour les Palestiniens et les Israéliens
Si le jeu de Pokémon (Go) (en réalité augmentée, ndlr) n'est toujours pas disponible dans la région, il y fait d'ores et déjà beaucoup parler. La force navale israélienne a posté un message sur son compte Facebook le 12 juillet à propos de l'utilité du jeu, écrivant : «Il y a des Pokémon auxquels nous ne pouvons pas accéder».
L'armée de défense a quant à elle adressé un avertissement à ses soldats : «Le jeu peut servir à collecter des informations ! Le jeu ne peut être utilisé sur la base militaire !» Même le président de l'Etat d'Israël Reuven Rivlin s'est visiblement prêté au jeu en postant une capture d'écran d'un Pokémon (en l'occurence un miaouss) dans son bureau sur sa page Facebook, avec comme légende : «Que quelqu'un appelle la sécurité».
Du côté palestinien, plusieurs internautes y vont de leurs commentaires faisant un parallèle entre le principe même du jeu de Pokémon (Go) et la politique israélienne menée en Cisjordanie, l'est de Jérusalem et dans la bande de Gaza. Comme la journaliste Mariam Barghouti qui lâche sur Twitter : «Israël n'a pas besoin de Pokémon Go, elle chasse les Palestiniens pour s'amuser. Avec 99,7% de taux de condamnation de Palestiniens par Israël… Elle va tous les attraper !»
Israel doesn't need Pokemon Go, it hunts Palestinians for fun. With 99.7% conviction rate of Palestinians by Israel..gotta catch 'em all!
— مريم البرغوثي (@MariamBarghouti) July 12, 2016
D’autres posts montrent un Pokémon fixant le mur qui sépare le territoire israélien de la Cisjordanie.
What #PokemonGO looks like in Gaza, Palestine. pic.twitter.com/pmx3T6aReU
— Salim Kassam (@msalimkassam) July 14, 2016
Pokémon Go au nom des enfants Syriens
Partir à la chasse aux Pokémon prend une autre résonance, cette fois-ci plus humanitaire que géopolitique avec les forces révolutionnaires de Syrie. Via leur compte Twitter إعلام قوى الثورة @RFS_mediaoffice, ces dernières ont diffusé plusieurs photos d'enfants brandissant des pancartes de Pokémon avec comme message :
Après l’attentat terroriste de Rouen, un débat de fond sur Al Jazeera
Le sujet de l'émission de débat du 26 juillet «ما وراء الخبر» (Au-delà de l'information) sur Al Jazeera : quelles sont les raisons pour lesquelles la France est davantage visée par les jihadistes que les autres pays européens ? Et comment s'y prend-elle pour lutter contre le terrorisme ? Avec la participation de Jean-Marie Bockel, initiateur du mouvement «la Gauche moderne» en France, du docteur Ziad Majed, professeur de sciences politiques à l'université américaine en duplex de Paris et Hassan Abou Haniya, consultant sur les questions religieuses en direct d'Amman.
Pour Jean-Marie Bockel, la multiplication des attentats terroristes en France s'explique par le fait qu'«on [la France] mène davantage la guerre à l'EI que les autres pays européens et que nos ennemis savent à quel point le peuple français est diversifié, avec une minorité musulmane importante. Les terroristes veulent donc casser notre société, la diviser et créer les conditions favorables à la guerre civile».
Ziad Majed, le politologue, nuance ce lien de cause à effet entre les opérations militaires menées par la France contre l'EI et les attaques terroristes que ce dernier perpètre sur le sol français. Il existe selon lui une troisième cause, liée à la spécificité du modèle français. «Le caractère diversifié et pluriel de la société française évoquée par Jean-Marie Bockel n'est pas sans poser de nombreux problèmes à la France ces dernières années, en rapport avec la question de l'identité, de l'intégration, du racisme et de la philosophie de la République française. La France réduit depuis un moment son degré de tolérance vis-à-vis des autres religions. Il s'agit d'ailleurs d'une problématique que l'on ne retrouve ni en Allemagne, ni en Suède ni même en Grande-Bretagne ou dans la culture anglo-saxonne», juge-t-il.
La seconde partie de l'émission s'est penchée sur cette question: «Pensez-vous que la composition de la société française qui compte un nombre conséquent de Français musulmans attire l'EI ?»
Réponse du consultant Hassan Abou Haniya : «L'EI ne choisit évidemment pas ses cibles par hasard. Il y a plusieurs raisons, dont l'histoire colonialiste de la France, ses actions militaires en Syrie, en Irak, en Libye, au Mali et les problèmes d'intégration en France. L'EI offre en effet à toute cette population en colère et frustrée une idéologie de vengeance vis-à-vis de l'Etat. Comme on l'a vu à Nice, Orlando… les assaillants se sont radicalisés très rapidement. La stratégie de l'organisation terroriste est donc claire : elle exploite les tensions politiques, sociétales et idéologiques de la France pour y lancer son recrutement, sur fond de la crise des réfugiés, de la droitisation de la droite et de la montée de plus en plus significative de l'extrême-droite.»
Et Jean-Marie Bockel de rebondir pour contredire cette idée : «la question du colonialisme est obsolète, personne n'a de leçon à donner à quiconque. La France doit être plus dure et intransigeante, soit on adhère à ses règles soit on la quitte. Il faut défendre nos valeurs, tous ceux qui font des efforts réussissent. Quant aux valeurs de la République, elles sont non pas exclusives mais inclusives, quelle que soit son origine et sa conviction religieuse. Nous allons frapper encore plus fort et c'est comme cela qu'on va gagner» signale-t-il.
Ziyad Majed, lui, réplique qu'un des problèmes émane des politiques qui ne tiendraient compte ni du ressenti des citoyens en marge de la société ni des analyses des chercheurs du monde académique réalisées autour des questionnements d'identité et d'intégration. «C'est très réducteur et simpliste de résumer une situation aussi complexe d'une façon binaire à "ceux qui aiment la France" et les autres. Il ne faut pas perdre de vue qu'expliquer un phénomène de société ne revient absolument pas à le justifier. Rien ne peut justifier l'égorgement d'un prêtre à Rouen ou la tuerie de Nice, des actes barbares indéniables. Cependant, il faut essayer d'expliquer "pourquoi la France plus que les autres" […]. La riposte sécuritaire et militaire ne suffit manifestement pas. Les opérations en Syrie, la situation en Irak, le chaos libyen après la chute de Khadafi… tout ça déclenche le sentiment de colère qui nourrit le terrorisme», dit-il. La plupart des terroristes ayant sévi en France n'allaient pas à la mosquée, n'étaient pas pratiquants, n'avaient jamais mis les pieds en Syrie ou en Irak, leurs problèmes étaient d'ordre sociétal et psychologique. Certains étaient même sous traitement. Ces derniers décident visiblement au contact de l'idéologie de l'EI de se transformer en assassins, qu'ils sont à la base, en candidats au paradis. Une vision partagée par Hassan Abou Haniya qui y voit le signe que l'EI est devenu «une idéologie prétexte à la vengeance […]. Du coup, ces individus embrassent cette idéologie pour donner un sens à leur vie ou plutôt à leur mort, sans avoir le moindre lien avec l'organisation. Le problème de la solution militaire et sécuritaire est que c'est une solution à court terme et ne peut pas tenir sur la durée.»
La vidéo du Marseillais contre Daech, reprise dans plusieurs médias arabophones
«Marseille menace Daesh», cette vidéo postée sur Twitter (et vue 1,2 million de fois sur Facebook) d'un Marseillais, Mohammed Nenni, menaçant l'EI à la suite de celles d'un jihadiste à l'encontre de la cité phocéenne, a fait le tour des médias y compris dans le monde arabe, notamment via Al Jazeera.
Le message du Marseillais Mohamed Henni à l'#EI va bientôt être diffusé par al-Jazeera pic.twitter.com/boAarjpzak
— Romain Caillet (@RomainCaillet) July 24, 2016
«Ici, il y a des kalachnikovs, des lance-roquettes, on vous ni*** vos mères», a lâché le Marseillais avant de poursuivre sa logorrhée dans un style fleuri durant 7 minutes 30.
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