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Borderline

Après le Brexit, les deux Irlandes renvoyées à leur passé

Le possible retour des contrôles à la frontière séparant les deux parties de l’île pourrait entraîner une résurgence du nationalisme.
A la frontière de l'Irlande du Nord, fin juin. (Photo Clodagh Kilcoyne. Reuters)
publié le 5 août 2016 à 19h51

Bases militaires, postes douaniers, fouilles de sûreté. Conséquence du conflit nord-irlandais, la frontière longue de 499 km qui sépare la République d'Irlande de l'Irlande du Nord était devenue, entre 1969 et 1994, «l'une des plus militarisées en Europe», rappelle Robert McNamara, professeur d'histoire à l'Université d'Ulster. Avec l'arrivée du marché commun et le début d'un processus de paix qui aboutira à la signature de l'accord dit du Vendredi saint, en 1998, la violence et les check-points ont disparu. Aujourd'hui, la frontière est invisible et 30 000 personnes la traversent chaque jour.

Mais la sortie de l'UE à la suite du référendum de juin pourrait menacer cet équilibre. Quand elle était encore ministre de l'Intérieur et qu'elle faisait timidement campagne pour le camp du remain, Theresa May avait prévenu que le Brexit modifierait forcément le statu quo à la frontière entre les deux Irlandes. Son discours était plus rassurant lors de sa première visite à Belfast en tant que Première ministre, fin juillet. «Personne ne souhaite le retour des frontières du passé», a assuré la nouvelle résidente du 10, Downing Street. Mais cette formule n'éclaire pas plus que son slogan, «Brexit means Brexit». Un brouillard d'incertitude entoure la frontière irlandaise et il faudra attendre l'issue des négociations avec l'UE - deux ans minimum à compter du déclenchement de l'article 50 du traité sur l'Union européenne, qui ne devrait pas intervenir avant la fin de l'année -, pour voir quel genre de séparation s'imposera sur l'île verte.

Porte dérobée. Certes, l'Irlande et le Royaume-Uni (dont l'Irlande du Nord est une nation constitutive) ont «une relation unique», pour reprendre les mots de Robert McNamara. Les Irlandais peuvent voter aux élections générales britanniques et les deux pays partagent une zone commune de voyage, mise en place en 1923, bien avant leur adhésion à l'UE en 1973. Sauf que la sortie de l'un des deux mousquetaires risque de poser problème.

En cas de scénario catastrophe, si le Royaume-Uni refuse le principe de libre circulation, comme le veulent les brexiters les plus tenaces, et sort du marché commun, la frontière deviendrait une porte dérobée pour les immigrés européens et une voie de contrebande. Elle ne pourra pas rester aussi poreuse qu'elle l'est aujourd'hui.

Le retour des contrôles à la frontière pourrait aussi relancer la ferveur nationaliste et menacer la paix. Le jour même de la victoire du Brexit, considéré comme un renforcement de la division entre les deux Irlandes, le Sinn Féin, la branche politique anciennement rattachée à l'IRA, a réclamé un référendum sur la réunification de l'Irlande. Mais pour Robert McNamara, cet élan nationaliste ne sera soutenu qu'en cas de divorce douloureux avec l'UE, car «l'Irlande du Nord dépend beaucoup des subventions du Royaume-Uni». Là encore, l'incertitude économique pourrait changer la donne.

«Priorités». «Nous croyons à l'Union, au lien précieux entre l'Angleterre, l'Ecosse, le pays de Galles et l'Irlande du Nord», a affirmé Theresa May lors de son discours d'investiture, le 13 juillet. Si la Première ministre a promis de prendre en compte les enjeux irlandais dans les négociations, elle n'est pas en position de force. «Le sort de la "frontière irlandaise" est entre les mains des autres pays européens, qui ont peut-être des priorités différentes, prévient Robert McNamara. Ils pourraient envisager un accord sévère afin de dissuader les autres de suivre la même voie.» Les Irlandais devront attendre quelques années avant de voir le brouillard se lever.