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Libération
Confessions d’un espion (2/5)

James, le monde ne suffit pas

Rencontre avec un agent secret britannique désabusé, à quelques mois de sa retraite du MI6.

Publié le 07/08/2016 à 17h11

Paris se débat sous un linceul gris, une pluie sans fin. C'est la Tamise qui dégouline, à croire que James l'a embarquée dans ses valises. L'espion anglais a le teint pâle des sédentaires mais il a vu du pays, pourtant. Sans appétit particulier, des kilomètres avalés pour la patrie et l'Union Jack, c'est tout. Il a posé ses yeux brumeux sur tous les lieux : Moscou et ses sœurs russes, Venise, Mexico, république d'Isthmus, Corée du Nord… Il ajoute : «J'étais en Afghanistan à la fin des années 80. Une sale affaire d'opium et de moudjahidin… Je ne veux pas vous en dire plus.»

Avec son poignet ankylosé et son costume pincé, le Britannique est plus crédible en VRP du luxe qu'en rebelle crotté de poussière afghane. Sa crédibilité s'épuise, la bouteille de champagne aussi. Reste l'envie d'y croire. Il faut l'entendre décrire Istanbul et ses cachettes, ses ombres, une ville à l'envers. Itinéraire bis : rendez-vous derrière la gare de Sirkeci, puis montez dans la chambre 32 de l'hôtel Kristal, au fond du couloir à gauche, avant de désamarrer une petite barque, ça y est, vous voguez sur la citerne souterraine, «un lieu de rencontre notoire entre Britanniques et Soviétiques».

James refuse de dire son âge, mais on devine l'enfant de la guerre froide, code génétique binaire. Bloc contre bloc. D'un haussement d'épaules, il balaie l'ONU et les autres : «Je préfère travailler seul.» Sauf devant quelques cartes. Car il faut des parieurs et des flambeurs à la table pour relever la partie. Casino ou tripot, Bakou ou Macao, l'espion est incollable, un vrai Tripadvisor du jeu. Joue-t-il avec l'argent de Sa Majesté ? On n'a pas osé demander. Certains casinos ne lui permettent plus d'entrer. Trop de bousculades et de verre pilé.

L'agent tout-terrain, discrétion en option, peut être difficile à manœuvrer. «C'est un fêlé, tempête un ancien diplomate qui l'a croisé au Vietnam. Il a traversé le marché de Hô Chi Minh-Ville à moto, plein gaz, il y a même eu des blessés ! Tout le consulat britannique était sur les dents. On a frôlé l'expulsion.» L'espion anglais est une grenade dégoupillée. Derrière lui, on ramasse les morceaux.

Mardi : Les ennemis sont éternels