Il est la bête noire des fraudeurs du fisc, et pas seulement dans sa région, la Rhénanie-du-Nord-Westphalie. Norbert Walter-Borjans, dit NoWaBo, ministre social-démocrate des Finances à Düsseldorf (la capitale régionale de ce Land, le plus peuplé d’Allemagne) a fait de la chasse aux fraudeurs du fisc sa spécialité. Il mène la traque jusqu’à l’étranger. Vendredi, il annonçait avoir de nouveau transmis à 19 pays européens trois fichiers contenant plus de 160 000 données, volées à une banque luxembourgeoise et proposées au fisc rhénan par un anonyme. Le fisc français a ainsi reçu quelque 42 000 données, le belge 49 000. Quelque 54 000 données de ce fichier, particulièrement intéressant , concernent des contribuables allemands et ont été remis au ministre fédéral des Finances, Wolfgang Schäuble.
«La justice fiscale ne doit pas s'arrêter à la frontière, explique le ministre dans un communiqué. Nous saisissons chaque opportunité de collaborer avec les autorités fiscales de nos voisins européens… De plus en plus de cachettes pour l'argent des fraudeurs sont découvertes. Partout dans le monde, le danger d'être découvert grandit !» Norbert Walter-Borjans, docteur en économie, fan de foot et père de quatre enfants, fils d'un menuisier et d'une couturière, a toujours jonglé avec les chiffres. Sa carrière politique débute en 1996. Il devient alors porte-parole du gouvernement régional, avant d'entrer au ministère régional des Finances dont il prendra la direction en 2010 après un court intermède dans le privé, lorsque la région passe aux mains de l'Union chrétienne-démocrate d'Allemagne (CDU).
«Aider l’administration grecque»
D'abord moqué par la presse populaire, NoWaBo a porté, à ses débuts, le surnom peu flatteur de «receleur de Düsseldorf», pour avoir été l'un des premiers à acheter des fichiers volés. Haï et désormais redouté des banquiers de Suisse, du Luxembourg ou du Liechtenstein, Norbert Walter-Borjans, 63 ans, est entre-temps devenu «le Robin des bois des contribuables». «Ça n'a pas toujours été facile, se souvient aujourd'hui ce petit homme au visage rond et aux fines lunettes. Au début on s'est moqué de moi, et on a même cherché à m'empêcher d'agir.» Même la direction de la formation dont il est membre, le Parti social-démocrate d'Allemagne (SPD), à Berlin, a mis longtemps à comprendre que sa croisade contre l'évasion fiscale n'était pas motivée par son seul souci d'assainir les finances du Land le plus endetté d'Allemagne. «Son budget est une passoire», critique le Frankfurter Allgemeine Zeitung, un quotidien proche des milieux d'affaires. La lutte contre la fraude fiscale ne serait, selon le journal, qu'un moyen de remplir les caisses.
Aujourd'hui, Athènes déploie le tapis rouge lorsqu'il se rend dans le pays. L'«ami Norbert» est accueilli à bras ouverts par le ministre grec des Finances, Trýfon Alexiádis, à qui il a transmis les noms de plus de 10 000 Grecs figurant sur un fichier volé à une banque suisse. Au cours de l'été, 50 contrôleurs du fisc grecs doivent suivre une formation accélérée de trois à quatre semaines en Rhénanie, sous la tutelle de contrôleurs allemands. «Notre objectif est d'aider l'administration grecque à mettre sur pied un système de contrôle fiscal opérationnel», explique le ministre. Et lorsque la Suisse fait rechercher les contrôleurs rhénans par mandat d'arrêt pour possession de fichiers volés, il se rend en personne à Bern pour plaider la cause de la lutte contre l'évasion fiscale auprès des autorités helvétiques.
Anciens salariés aux motivations douteuses
La Rhénanie-du-Nord-Westphalie est devenue le plus gros rabatteur du fisc d’Allemagne. Depuis 2010, Düsseldorf a acheté onze CD ou clés USB volés à des banques aux pratiques indélicates, le plus souvent par d’anciens salariés aux motivations douteuses. Coût total : 18 millions d’euros. Retour sur investissement : plus de 6 milliards d’euros pour le budget fédéral ; 2,1 milliards d’euros pour les seules finances de la région. La plupart de ces rentrées proviennent de fraudeurs, qui espèrent obtenir un jugement plus clément en s’autodénonçant, comme le permet la loi allemande.
Depuis janvier, la région compte une unité spéciale de quinze contrôleurs fiscaux au sein même de la police judiciaire. «Il ne faut pas oublier que ce sont des contrôleurs qui ont fait tomber Al Capone», aime à rappeler le ministre. Le légendaire criminel avait en son temps été condamné à onze ans de prison pour fraude fiscale, à défaut d'une condamnation pour les crimes commis par ses hommes.