Menu
Libération
Analyse

En Espagne, le dilemme de Mariano Rajoy

Si le Parti populaire accepte les «six conditions» posées par les centristes de Ciuadadanos en échange de leur soutien, le Premier ministre espagnol par intérim pourrait être officiellement investi, et entamer ainsi un nouveau mandat.
Le premier ministre espagnol par intérim, Mariano Rajoy (g.), et le leader du parti centriste libéral Ciudadanos, Albert Rivera, le 10 août à Madrid. (Photo Gérard Julien. AFP)
publié le 11 août 2016 à 15h09

Le verrou post-électoral a commencé à se débloquer. Après huit mois sans gouvernement et deux scrutins législatifs – le dernier, le 26 juin – sans résultats concrets, un pas a été franchi vers la possibilité d'un gouvernement. L'initiative est venue d'Albert Rivera, le candidat du parti centriste libéral Ciudadanos (Citoyens), la quatrième force parlementaire avec 32 sièges. Depuis des semaines, chaque leader, chaque formation, campe sur ses positions et refuse tout rapprochement avec un quelconque rival. Conclusion : dans ce pays qui depuis quatre décennies vivait dans la commodité d'un bipartisme de bon aloi entre conservateurs et socialistes, et qui depuis peu connaît la fragmentation des voix du fait de l'irruption de deux nouvelles formations (Podemos et Ciudadanos), aucune solution n'était possible.

«Régénérer la démocratie espagnole»

Le jeune et fringuant Albert Rivera a posé six conditions à son soutien au conservateur Mariano Rajoy, au pouvoir depuis 2011 et désormais chef du gouvernement par intérim, sans réel pouvoir et expédiant les affaires courantes. Ces conditions sont toutes liées à la vocation de Ciudadanos, un nouveau venu qui entend «régénérer la démocratie espagnole» qu'il estime «contaminée par la corruption, les blocages institutionnels, et les privilèges d'une élite politico-financière». Parmi celles-ci, la levée de l'immunité parlementaire, l'expulsion systématique des élus mis en examen dans des affaires et la refonte de la loi électorale au profit des partis nationaux plus modestes. Sans oublier la création d'une commission d'enquête parlementaire sur le financement illégal présumé du parti conservateur.

Gros dilemme pour les conservateurs du parti Populaire, victorieux stériles des législatives de 26 juin (137 sièges, loin des 176 requis pour la majorité absolue). Que faire des «six conditions» d'Albert Rivera ? S'ils n'y donnent pas suite, aucune chance de former un gouvernement. Il faudrait alors affronter de nouvelles législatives en décembre prochain, sans grand espoir d'obtenir de meilleurs résultats, comme le montrent les sondages. S'ils les acceptent, tout est possible. Comme à son habitude, le terne Mariano Rajoy a gagné du temps : il soumettra ce dilemme dans une semaine, le 17 août, au comité exécutif de son parti.

Programme commun

Si celui-ci donne son feu vert à une entente Populaires-centristes, Rajoy pourrait compter sur les sièges, et la participation active de Ciudadanos, soit un total de 169 sièges. Cela demeurera certes insuffisant, mais cette coalition mettra une pression considérable sur le parti socialiste (deuxième force avec 85 députés) qui, pour l'heure, refuse le moindre rapprochement avec Rajoy, qualifié de «leader de la corruption et de l'austérité». Au point même d'exclure un vote d'abstention qui permettrait au candidat conservateur de recevoir l'investiture et d'initier un nouveau mandat, quoique en minorité.

Selon les prévisions de Rivera et de Rajoy, à la condition que d’ici là ils se soient entendus sur un programme commun, cette investiture aura lieu fin août ou, au pire, début septembre. Ce sera alors au tour du candidat socialiste Pedro Sanchez d’être confronté à un dilemme difficile : s’arc-bouter sur un «no» qui forcerait la tenue de législatives en décembre (les troisièmes en seulement un an!) ou s’«abstenir», permettre ainsi une nouvelle législature emmenée par Mariano Rajoy, son adversaire honni, et faire de Podemos (71 députés) la seule et véritable opposition de gauche à la chambre basse du Parlement. Personne, alors, à coup sûr, ne voudra être à sa place.