Le 22 juillet 2012 près de Bayamo, dans l'est de Cuba, Oswaldo Payá, figure de l'opposition au régime communiste, et un autre dissident, Harold Cepero, trouvaient la mort dans un accident de la route. Quatre ans plus tard, Rosa María Payá reste convaincue que la police politique a liquidé son père. «Une Lada rouge avec à son bord des hommes en uniforme suivait sa voiture, et un autre véhicule l'a percuté», raconte la jeune femme dans un café de Coral Gables, un quartier de Miami. Il n'y pas eu d'enquête indépendante sur l'accident, attribué par les autorités à l'imprudence du chauffeur de la voiture, un jeune militant du Parti populaire espagnol (conservateur), jugé puis expulsé. A sa mort, Payá était l'opposant le plus visible à Cuba. Il avait fondé, en 1988, avec sa femme et quelques amis, le Mouvement chrétien de libération. Partisan d'une sortie pacifique du socialisme et du respect des droits fondamentaux (liberté de la presse et des partis, indépendance des pouvoirs), il suscitait la méfiance des exilés cubains de Miami qui le jugeaient trop conciliant avec le régime. Sa fille, 27 ans, a repris son combat.
La famille Payá vivait «libre dans un pays qui ne l'était pas», décrit la jeune femme. Le couple et ses trois enfants ne participaient pas aux «organisations de masse» qui embrigadent les Cubains : comités de défense de la révolution, Union des femmes, des étudiants, syndicat unique… «En privé, tout le monde critiquait le régime mais on ordonnait aux enfants : "Ne répète pas à l'école ce que tu entends à la maison." Chez nous, on nous disait "Raconte ce que tu crois juste, s'il y a des conséquences, nous les assumerons." Cette liberté de parole, mes camarades l'enviaient.»
«Concession»
Depuis la mort du dissident, sa famille a été harcelée. Les deux frères ont quitté le pays, ce que Rosa María se refuse à faire pour le moment. Même si elle a passé, depuis un an, plus de temps à l'étranger que dans sa maison de La Havane. «Je peux aller et venir, admet-elle, répondre aux invitations pour parler du mouvement démocratique à Cuba. Mais ce n'est pas un signe d'évolution du régime, plutôt une concession à l'Union européenne qui exige des gestes en échange de son aide financière.» Diplômée en physique, comme son père, Rosa María s'est vu refuser un poste de chercheuse à l'université, et a perdu son emploi dans un labo d'astronomie. «Ça n'avait rien à voir avec ma spécialité, témoigne-t-elle, mais à Cuba, un diplômé ne choisit pas son emploi. Il va là où on le place, c'est le service civil obligatoire, qui dure deux ou trois ans.»
Pendant de nombreuses années, la plupart des Cubains ont ignoré que certains compatriotes exprimaient leur défiance vis-à-vis du parti unique. Jusqu'à ce que le piratage de chaînes étrangères diffusées par satellite leur permette de voir les Dames en blanc défiler pacifiquement chaque dimanche, et se faire régulièrement rouer de coups et arrêter. La télévision d'Etat a alors mis fin au black-out médiatique, pour dénigrer l'opposition, mettant en avant que ses activités sont financées depuis l'étranger. Un argument qui choque l'opinion, au nationalisme ombrageux. Rosa María Payá n'élude pas la question : «L'argent que nous recevons de l'étranger vient en partie de la diaspora cubaine, qui a le droit de montrer sa solidarité avec le mouvement démocratique. Une autre partie provient de financements publics des Etats-Unis. Mais quand Washington subventionne à hauteur de 50 millions de dollars [44,6 millions d'euros, ndlr] les efforts de paix en Colombie, qui le leur reproche ?»
«Transition»
A Miami, Rosa María Payá gagne sa vie en donnant des cours particuliers de physique. Mais le plus clair de son temps passe dans le combat pour la démocratie dans son pays. «Notre mouvement n'est pas confessionnel, la référence au christianisme, il faut la comprendre dans le sens humaniste. Nous souhaitons une transition pacifique vers la démocratie, qui sera longue car on ne fait pas évoluer les institutions du jour au lendemain. Il y a cependant des mesures qui peuvent être prises dans l'immédiat : les libertés d'expression, de mouvement, celle d'entreprendre, la possibilité pour les Cubains de vivre décemment de leur travail. Ce n'est pas le cas aujourd'hui avec les salaires de misère que verse l'Etat.»
Rosa María Payá et ses amis veulent imposer un référendum à Cuba, ce que la loi autorise. Les Cubains diraient s'ils souhaitent modifier la Constitution, qui décrète que le socialisme est irrévocable et que le Parti communiste est le seul moteur de la société. Les moyens pour faire connaître leur cause sur l'île sont succints : «L'accès à Internet ou aux imprimeries est très limité. Nous nous rabattons sur les SMS ou les clés USB», explique la militante.
Quand elle revient à Cuba, Rosa María Payá est tenaillée par l'angoisse de se voir refuser l'entrée du pays. Où pourtant elle est surveillée de près. «Je suis suivie, mise sur écoutes, j'ai aussi été harcelée à l'étranger par des agents qui savaient dans quel hôtel je logeais, quel était mon agenda. Le pays sombre, l'économie est en ruines… Un seul secteur fonctionne à la perfection : l'appareil répressif.»