Faire le bien en se faisant du bien, est-ce encore faire le bien ? Cette question classique de la philosophie morale trouve une application très concrète dans le développement de ce qu’on appelle avec un brin de réprobation le «tourisme humanitaire». On connaît la réponse rigoriste à ce problème plus complexe qu’il n’y paraît. Emmanuel Kant l’a formulée : faire le bien, c’est se conformer à la loi morale, et non obéir à une compassion sans lendemain ou bien faire la charité pour se valoriser soi-même. Dans certains cas, l’altruisme devient une forme supérieure de l’égoïsme… Selon cette acception, les Occidentaux qui effectuent des séjours brefs auprès des réprouvés de la planète pour se donner bonne conscience ou, pire, pour décorer un CV qu’ils rentabiliseront dans telle ou telle multinationale, ne méritent guère d’éloges. Dans certains cas, il peut même s’agir d’un pur et simple néocolonialisme touristique. Mais à s’arrêter là on n’épuise pas le sujet. Les ONG, depuis toujours, connaissent le pouvoir de l’émotion. Même si elles le regrettent parfois, elles savent que la photo d’un enfant mort sur une plage de Turquie suscite plus de dons qu’une tirade éloquente sur les droits de l’homme.
Au tableau d’honneur de l’engagement, les vrais militants humanitaires surpassent évidemment les bénévoles d’un été. Mais les premiers doivent-ils se passer des seconds ? La vraie réponse, en fait, appartient aux réprouvés eux-mêmes ou à leurs représentants. Organiser, canaliser, rendre efficaces les bonnes volontés, seraient-elles superficielles : on devine que leur réflexe ira dans ce sens. Même éphémère, la mauvaise conscience peut avoir de bons effets. Elle peut aussi faciliter une prise de conscience politique, au bon sens du terme. Quand un humanitaire amateur constate de visu les effets dramatiques de telle ou telle action de politique étrangère menée par son gouvernement, quand ce dernier soutient par exemple une tyrannie cruelle dans un pays du sud, son éducation citoyenne fait un léger progrès. Il n’y a pas de bonne politique sans morale. Mais la morale ne peut s’abstraire de la politique.