Menu
Libération
Nomination

Ana Brnabic, ministre lesbienne d’une Serbie aux penchants homophobes

La nomination au gouvernement de la quadragénaire homosexuelle passée par les Etats-Unis et l’Angleterre réjouit les associations LGBT.
Ana Brnabic (au centre), ministre de l’Administration d’Etat et de l’Autonomie locale, au Parlement serbe, le 11 août.  (Photo Alexa Stankovic. AFP)
publié le 17 août 2016 à 18h31

Une lesbienne au gouvernement : voilà de l'inédit dans les Balkans réputés homophobes. Ana Brnabic, 40 ans, une manager formée aux Etats-Unis et en Angleterre, a été nommée ministre de l'Administration d'Etat et de l'Autonomie locale en Serbie. Un poste clé dans cette ex-république yougoslave de 7,1 millions d'habitants, candidate à l'Union européenne depuis 2012. «Ses orientations personnelles ne m'intéressent pas, seuls les résultats de son travail comptent», a déclaré le Premier ministre «progressiste», Aleksandar Vucic. Un geste aussitôt applaudi par les associations LGBT. «Un moment historique en Serbie, un grand pas dans la construction d'une société d'égalité des chances», s'est félicitée la Gay Straight Alliance, une ONG de promotion et de protection des droits fondamentaux.

«Honte»

Le 8 août, tous les projecteurs se sont braqués sur le visage d'Ana Brnabic, inconnue au bataillon. Dans une société où plus de 80 % de la population se déclare «chrétienne orthodoxe», la nomination d'une lesbienne a de quoi surprendre. L'an dernier, la Marche des fiertés LGBT a eu lieu sous haute protection policière à Belgrade. L'édition 2010 avait fait plus de 150 blessés, dont 147 policiers. Celles de 2011, 2012 et 2013 ont été annulées à la dernière minute, après les menaces d'ultras du groupuscule fasciste Obraz, bénis par le tout-puissant clergé orthodoxe, pour qui cette Gay Pride est une «parade tragi-comique de la honte». «L'arbre qui ne porte pas de fruits doit être coupé et jeté au feu», a vociféré le métropolite Amfilohije, qui entend laver les «péchés de Sodome». «La participation politique des personnes LGBT est cruciale pour accroître la tolérance, réduire la discrimination et la violence contre la population LGBT», a souligné la Gay Straight Alliance.

Si l'homosexualité n'est plus un délit en Serbie depuis 1994, elle est encore souvent mal vue, considérée comme une «maladie mentale» importée de l'Ouest. Insultes, bastonnades, viols… les attaques homophobes sont courantes et les auteurs n'écopent que de peines très légères. Selon une enquête d'Euractiv en 2013, 63 % de la population homo de Serbie serait en proie à des pensées suicidaires. «J'espère que la décision du Premier ministre encouragera plus de personnes LGBT à entrer en politique, et ceux qui sont déjà au gouvernement à faire leur coming out», a lancé Boris Milicevic, activiste gay et haut responsable du Parti socialiste de Serbie (SPS), partenaire de la coalition gouvernementale.

Ana Brnabic est née en 1975 à Belgrade, alors capitale de la Yougoslavie socialiste. Elle a obtenu une maîtrise en administration publique à la Northwood University (Michigan) en 1998, puis un MBA en marketing à l’université anglaise de Hull. Au début des années 2000, au sortir des guerres, alors qu’un laborieux processus de transition économique et politique se met en place, elle s’active dans le secteur des ONG de développement local.

En octobre 2015, son nom apparaît dans un scandale impliquant un proche du Premier ministre. A l’époque, elle dirige une compagnie de parcs éoliens, Continental Wind Serbia (CWS). Début septembre, le patron de l’entreprise publique serbe de distribution d’énergie est accusé de vouloir extorquer 2 millions de dollars à CWS pour raccorder le parc éolien au réseau électrique national. L’attaque est portée par le chef de l’opposition démocrate et par la sœur de la ministre de l’Administration d’Etat de l’époque, ex-directrice de CWS. Ana Brnabic réfute ces allégations lors d’une conférence de presse. Mais, dans la foulée, elle démissionne de la direction générale de Continental Wind Serbia. Depuis, elle préside le conseil d’administration de l’Alliance nationale pour le développement économique local.

Fraudes

Sa désignation au poste de ministre de l'Administration d'Etat intervient dans le cadre d'un remaniement gouvernemental, plus de trois mois après les législatives anticipées du 24 avril - les secondes à mi-mandat depuis 2012. Geste d'ouverture, récompense pour «bons et loyaux services», coup marketing ? «C'est cool», relève avec ironie Stevan Dojcinovic, rédacteur en chef du site d'investigation Krik. «Tout le monde se réjouit de la bonne nouvelle. Mais pendant ce temps, deux ministres soupçonnés d'entretenir des liens étroits avec le crime organisé ont récupéré leur portefeuille, les Affaires étrangères et la Santé, comme si de rien n'était.» Le premier, Ivica Dacic, s'affiche avec des trafiquants de drogue ; le second, Zlatibor Loncar, est suspecté d'avoir participé à un règlement de comptes mafieux en 2002.

Au début de l'été, afin de juguler son opposition qui manifestait contre les fraudes électorales, la censure des médias et les violences policières, le Premier ministre a cru bon d'évoquer un «complot de l'étranger» ourdi à Bruxelles. A l'heure de l'ouverture des négociations d'adhésion à l'UE ayant trait à la justice et aux libertés fondamentales, Brnabic, atout cœurLGBT du nouveau cabinet, est, selon le Premier ministre, d'autant plus «bienvenue».