Probablement réalisé par un jeune kamikaze jihadiste, l’attentat de Gaziantep, dans le sud-est de la Turquie, porte la signature de l’Etat islamique. Affaibli dans ses fiefs, ce dernier entretient un rapport complexe avec la Turquie.
Une ville clé
C'est une cible à valeur multiple que l'EI a choisie pour sa dernière attaque meurtrière. Il défie une nouvelle fois la Turquie, la sécurité, la stabilité de son Etat et de son gouvernement, en pleine tourmente après le putsch avorté du 15 juillet. Il vise des Kurdes, ses ennemis jurés, qui même s'ils sont turcs, sont les frères de ceux qui lui mènent la guerre la plus active en Syrie et viennent de le chasser de sa place forte de Manbij. Il démontre sa force de frappe à Gaziantep, une des bases arrières essentielles depuis trois ans, à quelques dizaines de kilomètres de la frontière syrienne. Après avoir été longtemps une étape de transit des jihadistes affluant du monde entier vers le territoire du «califat», la ville reste le grand supermarché de l'EI, qui s'y fournit en toutes sortes de produits alimentaires et de consommation courante. «Les hommes de Daech [l'Etat islamique] pullulent ici», répètent les nombreux activistes syriens, premiers visés par des assassinats ciblés en plein centre de la ville. En décembre, le meurtre du journaliste syrien Naji al-Jerf, militant contre l'organisation terroriste, avait constitué la première violation par l'EI du sanctuaire de Gaziantep.
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Un timing stratégique
Après les revers qu’il a subis récemment en Irak et en Syrie, l’EI commet à la fois un acte de vengeance et entend faire une démonstration de force. L’étau se resserre sur ses forces dans le nord syrien. Evincées de Manbij, elles vont devoir défendre une autre position stratégique à Jarablous, dernier point de passage direct sur la frontière turco-syrienne. Or, l’attaque qui s’y prépare doit être menée par des groupes rebelles syriens, soutenus notamment par la Turquie. Au moment où celle-ci se débat sur plusieurs fronts intérieurs et extérieurs, le nouveau message sanglant de Gaziantep entend lui rappeler sa vulnérabilité. Tout en poursuivant les campagnes d’épuration des appareils de l’Etat contre les partisans du mouvement de Fethullah Gülen, responsable désigné du putsch raté, le pouvoir turc est engagé dans une confrontation quotidienne avec les Kurdes du PKK, qui multiplient les attentats contre ses forces.
Dans le même temps, Erdogan vient d'opérer une réorientation de ses alliances diplomatiques et de ses options à l'égard des acteurs du conflit syrien. Il veut nouer une grande alliance antiterroriste en se rapprochant notamment de la Russie. La Turquie souhaite être «plus active» sur la crise syrienne dans les six prochains mois. Le «bain de sang doit cesser», disait samedi le Premier ministre, Binali Yildirim, quelques heures avant l'attentat de Gaziantep. Ce dernier rappelle à la Turquie les risques qu'elle prend en déclarant aussi la guerre à l'EI.
Un silence «diplomatique»
S’il faut souvent à l’Etat islamique environ vingt-quatre heures pour revendiquer ses attentats, en Europe en particulier, il ne l’a pas encore fait pour celui de Gaziantep. Comme d’ailleurs pour les précédentes attaques meurtrières qui lui sont attribuées sur le sol turc. L’organisation terroriste ne commente même pas les accusations directes qui sont portées contre elle, à l’image de celle formulée dimanche par le chef de l’Etat turc. Elle est guidée par le souci majeur de ne pas entrer en conflit frontale avec les autorités turques. Et, surtout, de ne pas rompre les multiples complicités et liens vitaux qu’elle conserve dans le pays. Certes, le gouvernement d’Ankara exerce depuis un an une répression tardive - mais réelle - contre les activités de l’EI à sa frontière. Il limite considérablement le passage des jihadistes qui gagnaient la Syrie. Et multiplie les arrestations parmi les membres de l’organisation. Mais celle-ci bénéficie toujours de relais, y compris parmi les services de sécurité turcs. L’EI compte enfin dans ses rangs des milliers de ressortissants turcs qu’il lui faut protéger.