Depuis qu'elle est interdite d'antenne en Egypte, Khadija al-Khattab a gagné une célébrité internationale. En robe rose ou léopard, ses cheveux roux tombant sur les épaules, le visage cadré de l'une des huit présentatrices de la télévision publique écartées des écrans en raison de leur surpoids s'est affiché partout. Elle est intervenue ces derniers jours sur plusieurs chaînes de télévision arabes et a accordé des interviews à divers journaux à travers le monde pour dénoncer la décision de sa direction. «Je ne suis pas bouleversée par le principe de cette recommandation à surveiller notre ligne. Nous avions des directives internes régulièrement dans ce sens. Mais c'est la brutalité de la décision et la publicité faite autour qui sont humiliantes», a affirmé la présentatrice d'une émission culturelle sur la principale chaîne publique.
La nouvelle présidente de la Radio télévision égyptienne, Safa Hijazi, a suscité un tollé dans son pays et au-delà par la mesure draconienne qu'elle a prise contre les présentatrices vedettes trop enveloppées à son goût. Elle leur a imposé un mois de suspension d'antenne et de régime pour retrouver leur place. Confirmant sa réputation de «dame de fer», celle qui a longtemps été elle-même présentatrice et en surpoids ne ménage pas les collègues désormais sous ses ordres. Elle avait dû en effet perdre 25 kilos en quelques mois en 2007, quand sa direction l'avait écartée du JT de 21 heures, équivalent du 20 heures en France.
«Marchandisation de la femme»
Le fait qu'une femme ait pris une telle initiative n'a pas protégé Safa Hijazi des accusations de misogynie et de discrimination. Condamnant une décision «contraire à la Constitution égyptienne et aux conventions internationales», le directeur du Centre d'orientation et de sensibilisation juridique pour les femmes a exigé le retrait d'une mesure relevant d'une logique «de marchandisation de la femme». De son côté, l'ancienne doyenne de la faculté de journalisme du Caire Laila Abdelmeguid a considéré la décision comme «lumineuse» mais a demandé que «la mesure s'applique aussi aux présentateurs en surpoids». Elle a par ailleurs insisté sur la nécessité pour la télévision égyptienne «d'évoluer sur le fond et non seulement sur la forme».
Ne cédant pas à la pression, la patronne de la télévision a confirmé sa décision en faisant valoir que toutes les chaînes du monde avaient des exigences et des règles pour le passage à l’antenne. Elle a rappelé que la caméra amplifiait déjà les volumes et conseillé aux présentatrices concernées de mettre à profit leur période de régime loin de l’antenne pour réfléchir aux moyens d’améliorer le contenu de leurs émissions.
Les Egyptiennes en tête des obèses en Afrique
La polémique qui se propage depuis une dizaine de jours dans la presse et les réseaux sociaux égyptiens soulève désormais des questions sur la qualité des programmes de la télévision publique égyptienne d’une part et sur le problème plus global de l’obésité dans le pays d’autre part. 75% des femmes et 61% des hommes y sont en surpoids, selon une étude du ministère égyptien de la Santé, tandis que les Egyptiennes figurent en tête des obèses en Afrique et dans le monde arabe, selon une organisation sud-africaine. Principale raison à cela, une alimentation du pauvre à base de féculents et de sucre. La célèbre tamiya, mélange de fèves et de pois chiches frits, est le petit déjeuner national classique, avec du thé très noir et très sucré. Les mauvaises habitudes alimentaires des Egyptiennes qui passent leur temps à grignoter accentuent le problème.
Eten pleine affaire des présentatrices privées d'antenne, un autre scandale touchant au poids des Egyptiennes a éclaté. Un club de gym du Caire a lancé une campagne publicitaire avec pour affiche la photo d'une poire commentée par le slogan «pas une bonne forme pour une fille.» Franchise d'une chaîne de sport américaine, la salle de gym s'est vu retirer aussitôt sa licence.
Pour autant, les discriminations et les moqueries sur leur poids ne semblent pas vexer outre mesure les Egyptiennes. «Je ne considère pas mon apparence comme rebutante à l'antenne, a affirmé Khadija al-Khattab, la présentatrice sanctionnée pour son surpoids. Après tout, nous ressemblons à la plupart des femmes égyptiennes et elles ne sont pas repoussantes du tout.»